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Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Titel: Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Filip Muller
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présence, il m’ordonna d’aller chercher en vitesse les kapos Schlojme et Vacek dans le local d’incinération. Ce local, tout en longueur, d’environ 160 mètres carrés, était envahi par une épaisse fumée âcre. Il y avait, au centre, deux grands complexes de fours rectangulaires, équipés chacun de quatre chambres de combustion. Le feu était allumé et entretenu dans des générateurs installés entre les fours. Comme combustible, on utilisait du coke apporté dans des brouettes. Le feu était entretenu dans les fours par deux canaux souterrains et évacué à l’air libre par de puissantes cheminées. La force des flammes et l’intensité de la combustion étaient telles que, dans le voisinage immédiat des fours, on entendait un fort grondement et que tout vibrait alentour. Quelques détenus, noirs de suie et trempés de sueur, recueillaient à l’extérieur une matière incandescente et blanchâtre qui se déversait dans des rigoles aménagées sous les grilles des moufles, dans le sol en béton. En refroidissant, cette masse informe prenait une teinte grisâtre. Voilà tout ce qui restait des malheureux encore en vie quelques heures plus tôt.
    Tel était le spectacle, horrible mais habituel, que j’avais sous les yeux en pénétrant cette nuit-là dans la chambre d’incinération pour appeler les deux chefs d’équipe. Le vacarme était si intense que je ne pouvais même pas entendre mes propres paroles. Je criai alors de toutes mes forces et fis comprendre aux deux kapos que Voss les réclamait. Je retournai aussitôt dans la chambre du chef de commando. Lorsque, quelques instants plus tard, les deux kapos se présentèrent devant le chef S.S. en se mettant au garde-à-vous, celui-ci leur demanda combien il restait encore de cadavres dans la salle d’incinération. Comme Vacek répondait qu’il pouvait y en avoir entre 450 et 500, sans pouvoir en préciser le nombre, Voss rétorqua en colère : « Je ne vous demande pas combien il peut y en avoir, je veux savoir combien il y en a exactement. » Schlojme n’en savait pas davantage. Voss alors perdit tout contrôle de lui-même : « Bande de jean-foutre, se mit-il à hurler, c’est justement ce que je veux savoir, vous entendez, espèces de trous-du-cul ! » Puis, fou de colère, il courut dans la salle du déshabillage où se trouvaient les cadavres, suivi par les deux kapos au pas de course. Je demeurai seul dans la chambre. La fumée pénétrant dans la pièce, je fermai la porte, puis je jetai un coup d’œil sur le document que Voss avait laissé sur la table. Je retournai avec précaution jusqu’à la porte et regardai à travers une fente pour m’assurer qu’il n’y avait pas de danger. Je revins vers la table et saisis la lettre en tremblant. Ayant rapidement parcouru son contenu, je restai frappé de stupeur. Mais Voss revenait déjà avec les deux kapos. Il me fallait recouvrer mon sang-froid et ne pas me trahir.
    Voss s’installa devant sa table. Les deux hommes, debout devant lui, attendaient ses instructions. Il alluma une cigarette et marmonna pour lui-même : « Il doit bien en rester encore 500 à traiter. » Puis il enfouit sans ménagement la lettre dans une poche de son uniforme.
    Il resta l’œil vague pendant quelques instants, réfléchissant sans doute au moyen de transformer en cendres avant le lendemain matin tous les corps qui étaient étendus dans la salle des cadavres. L’ordre secret que je venais de lire prescrivait en effet que le crématoire V devait être disponible le lendemain matin à partir de 8 heures, pour le gazage des internés du camp des familles. Ce camp avait été aménagé au mois de septembre 1943, à l’arrivée de 5 000 juifs de Theresienstadt qui avaient été installés dans la section du camp B. II b, rejoints par la suite par quelques contingents de détenus de même provenance.
    Lorsqu’en 1784 l’empereur Joseph II donna à la forteresse le nom de sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse, il était loin de se douter de l’affectation qui devait lui être réservée cent cinquante-sept ans plus tard. Cette construction, située au confluent de l’Eger et de l’Elbe, était destinée à prévenir toute nouvelle attaque des troupes prussiennes. Mais la citadelle devait devenir déjà du temps de la monarchie des Habsbourg, une geôle de sinistre réputation. C’est en effet dans cette prison que fut incarcéré et mourut, dans une étroite et sombre

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