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Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Titel: Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Filip Muller
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l’obscurité en se bousculant, en se piétinant, en s’affalant les uns sur les autres, pour en arriver à cet insoutenable et dantesque chaos. Nous devions nous protéger avec des masques à gaz, car les ventilateurs ne pouvaient assainir complètement l’air vicié et toxique, et chasser les gaz qui subsistaient toujours entre les corps au cours de leur évacuation.
    La manipulation et l’enlèvement de tous ces cadavres étaient un travail pénible et affreux. Nous étions couverts de sueur, les verres de nos masques à gaz s’embuaient rapidement et nous perdions haleine en quelques minutes. Il fallait reprendre souffle au cours de fréquentes pauses.
    Cette nuit-là, après l’enlèvement des morts dans la partie arrière de la chambre à gaz, j’allai jusqu’à la colonne près de laquelle j’avais parlé avec les jeunes filles. Je retrouvai sous un amas de cadavres le corps de Jana, qui m’avait prié de remettre sa chaînette d’or à son ami Sacha. Elle semblait dormir. Je retirai le collier de son cou, ainsi que je le lui avais promis, le mis dans ma poche et quittai la salle. Puis je remontai avec le monte-charge.
    Les premières lueurs du jour commençaient à poindre. Des coups de gong réveillaient les détenus dans le camp. On entendait la rumeur des blocs des femmes. Puis la musique militaire de l’orchestre du camp retentit, et le petit peloton des sentinelles du service de nuit rentra. La vie reprenait son cours habituel, des S.S. couraient, affairés, en donnant des ordres, les commandos de détenus partaient pour le travail, quelques-uns circulaient dans l’allée centrale du camp entre les deux crématoires. Peu de détenus se doutaient du drame terrible qui venait de se dérouler derrière les murs des deux bâtiments entre lesquels ils allaient et venaient. Rentrant au camp, je me rendis dans le premier bloc situé sur la gauche de la chaussée, où était installée la manutention. Je venais d’apprendre que le doyen de bloc, Röhrig, un Allemand du Reich qui portait l’insigne rouge des politiques, venait d’être affecté à une compagnie disciplinaire après avoir été tondu à ras. En effet, la veille, dans la soirée, les détenus du camp des familles ayant été transférés en camions au crématoire, les S.S. avaient armé de matraques les kapos et les doyens de bloc, en leur ordonnant de participer à la poursuite impitoyable des détenus, comme dans une battue. Röhrig s’était formellement refusé à participer à cette chasse à l’homme.
    Je rencontrai Sacha dans la manutention. C’était un prisonnier de guerre russe, originaire d’Odessa, sous-officier dans l’armée Rouge. Il avait été transféré en 1941 à Auschwitz, avec plus de 13 000 prisonniers de guerre soviétiques dont une centaine seulement allaient survivre. Sacha, qui était toujours souriant, m’accueillit cette fois avec un visage grave. Il avait appris que le camp des familles devait être liquidé. Comme je l’avais promis à Jana, je lui remis la chaînette d’or et lui fis part de son baiser d’adieu. Des larmes coulèrent sur son visage couturé de cicatrices. Tête baissée, en larmes, il apprit la nouvelle sans dire un mot. Puis, après quelques minutes de silence, il s’écria : Moja dorogaja Jana, et se couvrit le visage de ses mains. Il avait vu Jana quelques semaines auparavant pour la dernière fois. Brisé, d’une voix entrecoupée de sanglots, il me fit part de leurs projets d’avenir, de leurs derniers espoirs. Puis il ajouta dans un murmure : « Maintenant, tout est fini pour nous, définitivement ! »
    La vie de nouveau me paraissait affreuse, vide de sens, insupportable. Après les terribles événements de la nuit, je ne trouvai plus en moi la force de partager plus longtemps cette nouvelle détresse ni celle d’inventer des mots pour le consoler. Refoulant mes larmes moi aussi je quittai la manutention. Comme je m’en retournai, tel un somnambule, par ce matin de printemps, un commandement rauque, puis une chanson me firent sursauter. C’était le départ pour le travail de la compagnie disciplinaire. Les détenus se traînaient péniblement sur le bord de la route et chantaient la mélodie connue : «  C’était une jeune fille ensorcelante aux splendides yeux bruns, si mignonne, avec son minois de gamin. »

LA GÉHENNE
    Le 7 avril 1944, la sirène d’alarme retentit soudain après l’appel du soir. Alfred Wetzler et Walter Rosenberg se

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