Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
parvenaient à rompre ce mur du silence, le calme et la paix reviendraient bientôt dans cet enfer.
Quelques jours s’étaient maintenant écoulés depuis leur fuite. Mais les potences où on devait les pendre s’élevaient toujours, menaçantes, dans le ciel. Aucun de nos gardiens ne pouvait comprendre comment ils avaient bien pu réussir. De leur côté, les chefs du mouvement de résistance au commando spécial, qui connaissaient mes rapports avec les deux fugitifs, firent pression sur les agents de liaison dans le camp et insistèrent pour que soit enfin donné le signal du soulèvement. Cependant ces derniers pensaient qu’une action générale de rébellion était encore prématurée.
Les semaines s’écoulèrent. Le ciel de Birkenau s’assombrissait de plus en plus. Les signes de dégradation de la situation se précisaient chaque jour. Bien que l’armée Rouge ne fût éloignée d’Auschwitz que de quelques centaines de kilomètres et qu’elle se rapprochât régulièrement, une activité fiévreuse régnait dans la région. Les travaux que la direction du camp venait de mettre en chantier étaient entrepris avec une hâte à peine concevable. Des centaines de détenus étaient employés nuit et jour à la pose de voies ferrées jusque dans le voisinage immédiat des crématoires II et III. Entre les secteurs de construction B. I et B. II, on construisait une rampe de chargement et de déchargement donnant sur la route avec une installation de raccordement ferroviaire à trois voies, reliant directement les installations d’anéantissement avec le monde extérieur et la gare d’Auschwitz.
De nombreux détenus étaient occupés à améliorer l’état des routes. Depuis le matin de bonne heure jusque dans les dernières heures de la soirée, des rouleaux compresseurs étaient en action, des camions circulaient sans arrêt, des engins de chantier travaillaient à grand bruit sans interruption. On terminait également fiévreusement la construction de nouveaux abris pour les détenus dans les secteurs des travaux du camp B. II c et dans le secteur III des bâtiments, dénommé « Mexico ». L’effectif du commando « Canada » fut progressivement porté à près de 1 000 détenus. Sa fonction consistait à charger sur camion les objets personnels des nouveaux arrivants après leur dépôt sur la rampe. Au cours du transport de ces objets aux magasins on procédait à leur classement et au tri des valeurs ainsi qu’au nettoyage des vêtements avant de les expédier vers le Reich. On dirigeait également sur « Canada » tous les habits, le linge, les souliers et les autres objets abandonnés par les déportés dans le vestiaire.
Pour l’entretien des crématoires, on avait fait appel à des travailleurs civils d’une entreprise de Haute-Silésie. Divers commandos spécialisés participaient également à ces travaux.
Afin de procéder au colmatage des fissures dans les parois des fours, avec de la terre réfractaire, au revêtement des portes en fonte d’acier avec de l’enduit noir, et au graissage des charnières, on les arrêtait à tour de rôle. On remplaçait les grilles usagées et on vérifiait du haut en bas l’état des six cheminées en faisant les réparations nécessaires. On contrôlait aussi soigneusement les ventilateurs avec l’aide des électriciens. On fit enfin repeindre les murs des quatre vestiaires et des huit chambres à gaz.
Tous ces travaux avaient manifestement pour but de mettre les installations d’anéantissement en parfait état de marche. Mais nous ne saisissions pas l’intérêt des réparations de caractère esthétique dans le crématoire V. On repeignait avec de la peinture blanche non seulement les briques de terre réfractaire des deux complexes de fours, mais aussi les jointures en maçonnerie sur les murs. Quelle importance cela pouvait-il avoir, pensions-nous, alors que dès le premier jour de la mise en marche de l’exploitation, la chambre de chauffe devait se couvrir d’une couche de suie grisâtre ? Personne ne pouvait se douter qu’un état-major S.S. devait installer son quartier principal dans ce local au cours de la prochaine opération d’anéantissement en masse. Dans le bunker II, actuellement dénommé bunker V – une ancienne ferme crépie à la chaux qui était séparée du camp par un petit bois – il régnait également une grande animation. Nul ne pouvait imaginer que dans cette maison rurale, paisible et
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