Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
laquelle ils devaient participer, car il s’agissait alors d’hommes avec lesquels ils s’étaient toujours très bien entendus et auxquels ils n’avaient rien à reprocher.
Mais ce lieu sinistre se prêtait mal à une telle sentimentalité. L’action de destruction en masse reprit son cours habituel. Moll et ses comparses vérifièrent leurs armes à feu, et ils donnèrent aux tziganes qui s’étaient défaits de leurs habits l’ordre formel et non équivoque de quitter la salle de déshabillage pour aller dans les trois locaux où ils devaient être gazés.
Pendant leurs derniers instants, ils étaient nombreux à pleurer de désespoir, à faire le signe de la croix ou à implorer la miséricorde divine ; certains qui ne s’étaient pas encore résignés à leur inévitable destin se tournaient vers les S.S. en gesticulant et en leur criant : « Mais nous sommes des Allemands du Reich ! Vous ne pouvez pas nous traiter comme vous le faites ! » Puis on entendit des appels désespérés et des cris en provenance des chambres à gaz jusqu’à ce que le cyclon mortel eût produit son effet et que toutes les voix se fussent éteintes les unes après les autres.
Avant l’ouverture des chambres à gaz, Moll donna l’ordre à tous les détenus du commando spécial de se rendre immédiatement dans les deux locaux situés entre le vestiaire et les chambres à gaz. Cette mesure était paraît-il motivée par une alerte aérienne. S’il en était ainsi elle était absurde car l’éclairage du camp par les fenêtres grillagées n’était pas camouflé. On nous avait enfermés avec une arrière-pensée et cette idée nous tracassait. Peut-être notre dernière heure avait-elle sonné ? Notre angoisse et notre oppression s’accrurent lorsque nous perçûmes peu après deux détonations successives d’un fusil à silencieux, de petit calibre. Cela n’augurait rien de bon pour nous. Cependant, à notre grande surprise, après quelques minutes, les S.S. nous firent sortir de notre prison et ils nous repoussèrent dans le local de déshabillage, où l’on nous ordonna de nous former en rangs. Puis Moll apparut et nous déclara que le kapo Kaminski avait été abattu. Il nous expliqua que celui-ci avait préparé une agression contre L’Oberscharführer Muhsfeldt, et à la dernière minute il avait réussi à prévenir cette attaque. Il ajouta d’un ton menaçant : « Il en sera exactement de même pour tous ceux qui ne marcheraient pas droit ! » Puis il nous chassa du local en criant : « Maintenant, de l’air ! Rassemblez les frusques ! Faites place nette dans les chambres à gaz ! » Je courus dans le vestiaire pour aider au chargement, dans les camions en stationnement dans la cour, des affaires abandonnées par les tziganes. La mort de Kaminski nous accablait. Abasourdis par cette nouvelle, nous courions en faisant la navette entre le local du déshabillage et les camions. Aucun de nous ne pouvait se faire à l’idée de la perte de notre chef. Au point du jour, la plupart des corps des tziganes gazés avaient été tirés dans la partie arrière de la cour. Nous commençâmes alors à aligner les cadavres dans deux fosses situées côte à côte et à préparer leur incinération.
Parmi ces cadavres, il y avait le corps de notre camarade Kaminski, qui fut amené ostensiblement par les S.S. et qui était recouvert de branchages de sapin. Il avait été abattu de deux coups de feu, l’un dans la nuque et l’autre dans l’œil gauche, qui était complètement écrasé.
Nous ne sûmes jamais qui avait dénoncé Kaminski aux S.S. Le bruit courait que c’était Mietek Morawa, avec qui il avait eu un entretien quelques jours avant sa mort, pour le compte du groupement de la Résistance. Kaminski aurait alors prudemment questionné Morawa afin de savoir comment se comporteraient les cinq détenus polonais du commando spécial en cas de résistance ouverte.
Après que l’émotion provoquée par la mort de Kaminski se fut apaisée, nous réfléchîmes de nouveau à notre situation dans un proche avenir. La crainte que les S.S. n’aient été informés de notre plan de soulèvement et qu’ils n’aient exécuté Kaminski à la suite de leur enquête n’était pas fondée. En effet, pourquoi ne nous auraient-ils parlé que de l’agression projetée contre l’Oberscharführer Mushfeldt ? On ne comprenait pas non plus pourquoi ils auraient abattu Kaminski sans inquiéter les autres
Weitere Kostenlose Bücher