Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
marchepieds. Dès l’arrêt des véhicules, ils sautèrent au sol et ouvrirent les ridelles de l’arrière. Les tziganes entassés dans les camions, environ 300 au total, descendirent à leur tour et furent conduits à travers une double haie de S.S. armés jusque dans la salle de déshabillage. Pendant ce temps, les camions firent demi-tour pour transporter un nouveau chargement humain. Une vingtaine de minutes plus tard, un nouveau convoi arriva dans la cour, chargé de candidats à la mort. Les déportés furent dirigés comme les premiers dans le vestiaire pendant que les véhicules effectuaient une nouvelle navette. Cette opération se renouvela deux ou trois fois jusque vers minuit ; à ce moment plus d’un millier d’hommes avaient été rassemblés dans la salle de déshabillage du crématoire V. Les autres détenus furent transférés dans le crématoire II. Lorsque la première fournée eut été entassée dans la salle de déshabillage, plusieurs chefs S.S. arrivèrent sur les lieux et contraignirent tous les gens à se placer à l’arrière du vestiaire pour se déshabiller. En même temps, plusieurs S.S. se précipitèrent à l’arrière en formant un barrage devant ceux qui venaient d’être parqués dans cette partie du local. Peu de temps après, on vit apparaître des dirigeants de la direction du camp, parmi lesquels le commandant du camp d’Auschwitz II, Kramer, L’Obersturmführer Schwazhuber, quelques médecins et d’autres chefs S.S. Il y avait également Moll, le responsable de l’opération d’anéantissement, qui courait d’un air affairé avec ses subordonnés et donnait des instructions ou des ordres.
Les tziganes qui devaient être gazés connaissaient déjà depuis longtemps de nombreux S.S. qui se tenaient tout autour et ils essayaient de s’entretenir avec eux, ainsi qu’ils en avaient l’habitude. Leurs rapports avec les S.S. étaient devenus à la longue presque familiers. Cela tenait à ce que la plupart d’entre eux parlaient allemand et peut-être aussi au fait que les S.S. n’avaient pas de raisons particulières de haïr les tziganes. À l’opposé des juifs, des bolcheviques, des Slaves et des autres « sous-hommes », les nazis n’avaient jamais adopté dans leur propagande une position très hostile à l’égard des tziganes. Avant d’être déportés ici, un certain nombre avaient d’ailleurs combattu sur le front, sous l’uniforme allemand et portaient des décorations à ce titre. Il fallait également tenir compte de la conception de vie spécifiquement optimiste des tziganes, qu’ils avaient conservée dans le camp, ainsi que de leur aptitude passionnée et dynamique pour la musique ; ces traits caractéristiques de leur race avaient contribué à leur attirer la sympathie des S.S. Mais dans le local du déshabillage, ils devinrent froids et distants. Si on leur adressait la parole, ils restaient indifférents et insensibles aux questions ou aux gestes. En fait, ces gens avaient perdu leurs dernières illusions. Ils pressentaient le destin qui les attendait et ils se cabraient avec désespoir contre le sort qui leur était réservé.
Vers minuit, le local du déshabillage était rempli de monde. L’agitation de la foule croissait de minute en minute. On se serait cru dans une ruche géante. On entendait de tous les côtés des cris désespérés, des lamentations et d’amers reproches. Ils réagissaient par des plaintes en chœur : « Nous sommes tous des Allemands du Reich ! Nous n’avons commis aucun crime ! » Ailleurs, d’autres s’écriaient : « Nous voulons vivre ! Pourquoi voulez-vous nous tuer ? »
Je remarquai alors un spectacle inhabituel que je n’avais encore jamais observé dans l’antichambre de la mort. De nombreux hommes serraient passionnément leur femme dans leurs bras dans une ultime étreinte sexuelle. C’est ainsi qu’ils donnaient le dernier adieu à l’être le plus cher qu’ils avaient au monde – et aussi à leur propre existence.
La plupart des S.S. semblaient avoir mauvaise conscience. Alors que dans les opérations de gazage ou de fusillade des juifs qui faisaient partie de la routine journalière, ils ne montraient aucun scrupule, l’action meurtrière de ce jour semblait les toucher au vif. L’exécution de ces hommes par les gaz leur était manifestement désagréable et pénible. Ils dissimulaient mal un certain sentiment de honte devant cette opération d’anéantissement à
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