Tsippora
qui rendit
les journées bien différentes de ce qu’elles étaient avant son arrivée, ce fut
tout le savoir de l’Égypte qu’il possédait.
Les enfants de la maisonnée, d’abord les
plus grands, par petits groupes, puis les plus jeunes, prirent l’habitude de le
rejoindre au crépuscule devant sa tente. Ils posaient mille questions et Moïse,
sans jamais montrer la moindre lassitude, de sa voix de moins en moins
hésitante, leur répondait. Il racontait, avec autant de gestes que de mots,
comment les carriers taillaient les blocs de pierre dans la montagne, comment
on les transportait sur le Grand Fleuve. Comment, parfois, les aiguilles de
roche étaient si immenses qu’il fallait plus de cent bateaux et des milliers
d’hommes pour les tirer des montagnes et les dresser devant les esplanades des
temples, à dix jours de marche.
Dans le sable, il traçait le plan des
villes, des palais. Il dessinait les jardins et quelquefois la corolle de
fleurs qui ne possédaient pas même de nom dans la langue de Madiân.
Les yeux des enfants s’agrandissaient à la
dimension des merveilles qu’ils entendaient. Leurs nuits se peuplaient de rêves
fabuleux. Plus personne ne songeait aux esclaves et au fouet de Pharaon, mais
seulement à ces villes inouïes, ces jardins de paradis, ces animaux de roche
tirés du cœur des montagnes et si énormes qu’une seule de leurs griffes était
plus haute qu’un homme.
Bientôt, les jeunes servantes
accompagnèrent les enfants. Comme par enchantement, le crépuscule venu, la cour
de Jethro s’emplissait d’un silence tout neuf jusqu’à ce que le ciel, au-dessus
de la montagne d’Horeb, disparaisse dans la nuit.
Durant toute une lune, s’appliquant à
lui-même le conseil de patience donné à Tsippora, Jethro avait pris soin de
rarement partager son repas avec Moïse. À bon escient : ceux-ci furent des
instants mornes et peu bavards. Moïse y paraissait écrasé sous le poids du
respect et de la reconnaissance, Jethro sous celui de sa prudence.
Cependant, il ne fallut pas longtemps pour
que le plaisir que, tout au contraire, Moïse dispensait devant sa tente aux
enfants et aux servantes parvienne aux oreilles de Jethro. Un soir, il décida
d’y faire porter son repas et une grande jarre de vin allongé de miel.
Sitôt assis, il noya l’embarras prévisible
de Moïse dans les gobelets de bois d’olivier. Il fit approcher les enfants et,
pour ainsi dire, les poussa dans les bras de Moïse. Avec un étonnement plus vif
que celui qu’il laissa paraître, il découvrit l’aisance que Moïse avait acquise
avec les mots. Son accent n’était plus un obstacle à la compréhension, mais une
séduction, l’écrin d’un parfum nouveau pour la langue de Madiân. Il eut le même
ébahissement que les enfants lorsque Moïse expliqua comment les prêtres
d’Égypte transformaient les corps des rois et des princes défunts en sculptures
de chair, vides de leurs entrailles et propres à affronter l’éternité. Il eut
les mêmes rires qu’eux lorsque Moïse imita les cris des singes dont on se
faisait, là-bas, des compagnons au caractère capricieux.
À l’aube du lendemain, lorsque Tsippora lui
apporta les galettes et le lait frais de son premier repas, Jethro lui saisit
la main et la serra avec une étrange émotion.
— Hier soir, j’ai écouté Moïse. Celui
que j’ai découvert, je ne le connaissais pas encore. Il est plus savant que
moi. Il a vu de ses yeux plus de choses du ciel et de la terre que je n’en ai
vues. Assurément, c’est un homme qui n’a jamais été esclave de Pharaon. Et
même, jusqu’à ce qu’il fuie le pays du fleuve Itérou, je suis certain qu’il n’a
eu d’autre bonheur et d’autre fierté que d’être son sujet.
Tsippora ne répondit pas. Jethro laissa
s’écouler un moment puis, les yeux lumineux de malice, demanda si Moïse, depuis
qu’il vivait sous la tente, ne lui avait rien confié de son passé.
— Non ! Bien sûr que non.
Pourquoi l’aurait-il fait ? Et puis, il est très occupé avec les enfants.
On devinait de l’amertume dans sa voix. Le
regard de Jethro pesait toujours sur elle. Pour échapper aux questions qu’elle
craignait d’entendre, elle ajouta avec un vrai rire :
— S’il continue à plaire autant, on ne
se souviendra bientôt plus que Jethro est le maître de cette cour. Toute la
maisonnée est à son service. Il lui suffit de lever un sourcil et les servantes
accourent !
— Toute
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