Un collier pour le diable
à moi ?
— Du droit qu’elle a, elle, d’être préservée, défendue. Elle n’a que faire de la gloire et de l’aventure. Avez-vous oublié le drame épouvantable qui a marqué sa jeunesse ?
— J’ai tué l’un des deux misérables qui l’avaient jetée vivante au fond d’une fosse boueuse… et je tuerai le second dès que je l’aurai retrouvé !
— Mais vous ne tuerez pas le souvenir ! N’importe quelle femme serait devenue folle. Judith a pu résister, mais elle est demeurée fragile. Elle a besoin de calme, de paix, de sécurité, tout ce qu’elle n’arrive pas à trouver. Regardez où elle en est depuis que vous l’avez revue : elle doit se cacher afin de fuir les trames tortueuses d’un prince dont vous êtes l’ennemi, qui le sait et qui sait aussi qu’il peut vous atteindre à travers sa fragilité !
— Je n’ignore rien de tout cela, figurez-vous, et je veux autant que vous-même lui donner la paix, le bonheur tranquille d’un foyer, la liberté ! Rendez-la-moi et je partirai avec elle. Depuis que je la connais, je rêve de l’emmener en Amérique, là où les hommes ont commencé à apprendre à vivre libres. Nous irons bâtir notre maison en Virginie…
— Vous, l’homme du Roi, vous, l’oiseau chasseur, qui protégez et armez sa main, vous, le Gerfaut… vous partiriez pour aller vous mêler aux querelles des bavards du Congrès, aux sordides luttes d’intérêts qui commencent à se développer là-bas ? Vous abandonneriez vos armes pour les mancherons d’une charrue ?
— Pourquoi pas ? Je suis né paysan. Quant à ce gerfaut que vous me jetez au visage, sachez qu’il est né là-bas et qu’il peut y vivre à l’aise. Il y a assez de place, assez d’immenses forêts, assez de terres vierges pour que les bruits du Congrès n’y atteignent jamais. Je porte l’aigle de Cincinnatus. Je peux, comme son modèle, redevenir laboureur si, en rentrant le soir au logis, je retrouve le sourire de Judith, les bras de Judith, l’amour de Judith… Quand donc aurez-vous compris que je l’aime ?…
— Et elle ? Vous êtes sûr qu’elle vous aime aussi ? Vous ignorez tout de ses sentiments. Peut-être qu’elle ne vous aime pas…
— Si ! Oh si !…
L’une des portières de velours venait de se soulever, presque de voler sous la main nerveuse de la jeune fille qui, avec ce cri, jaillissait de l’obscurité pour se jeter dans les bras de Gilles.
— Oh si, je t’aime ! Ne l’écoute pas !… Il ne peut pas savoir, lui… Il m’avait enfermée mais je t’ai vu arriver !… Oh, tu es là, vivant… bien vivant ! Tu es guéri… et l’on voudrait te faire croire que je ne t’aime pas ? Mais je ne respire que par toi !
Elle l’entourait de ses bras, se serrait contre lui secouée de longs frissons. Avec une infinie tendresse, il prit entre ses deux mains le ravissant visage inondé de larmes brûlantes et baisa longuement ses lèvres tremblantes.
— Ma douce… mon amour, ne pleure pas, ne tremble pas !… C’est fini, nous allons partir !…
— Il ne veut pas, il ne voudra jamais !… Il dit que je ne peux pas être à toi… ni à aucun homme d’ailleurs, que je dois rester vierge pour que l’Esprit demeure en moi !
Farouchement, Gilles enferma la fragile forme blanche entre ses bras tandis que son regard glacé toisait le médecin.
— Si vous m’expliquiez ce nouveau mystère, maître sorcier ? Ainsi, vous vous arrogez le droit de lui interdire l’amour, le bonheur, le don d’elle-même ? À quel titre ? Êtes-vous Dieu ?… Ne seriez-vous pas plutôt amoureux d’elle ? C’est cela, n’est-ce pas ? Vous ne voulez pas qu’elle soit à moi parce que vous voulez la garder pour vous ?
— Imbécile !…
Lentement, Cagliostro alla prendre un candélabre chargé de bougies allumées et le porta jusqu’à une alcôve dans laquelle Gilles aperçut soudain la table au tapis noir et aux objets d’argent qui avait si bien disparu de l’hôtel Ossolinski. Mais cette fois, le miroir tournant était remplacé par une simple carafe de cristal remplie d’eau.
— Judith ! appela Cagliostro sans élever la voix. Venez ici !
Dans le nid que lui faisaient les bras de Gilles la jeune fille tressaillit. Le chevalier gronda :
— Laissez-la en repos ! Je lui défends de bouger !…
— Je ne lui veux aucun mal. Je veux seulement que vous, vous compreniez !
Comme si une force irrésistible eût soudain
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