Un long chemin vers la liberte
la supériorité d’une équipe de défenseurs et à l’impartialité de trois juges en particulier.
Cependant, les tribunaux restaient peut-être les seuls endroits en Afrique du Sud où on pouvait écouter un Africain de façon impartiale et où on appliquait la loi. Cela était particulièrement vrai dans les tribunaux présidés par des juges éclairés nommés par l’United Party. Beaucoup de ces hommes défendaient la loi.
Quand jetais étudiant, on m’avait enseigné qu’en Afrique du Sud la loi était souveraine et s’appliquait à tous, quel que soit leur statut social ou leur position officielle. J’y croyais sincèrement et j’envisageais une vie fondée sur ce postulat. Mais ma carrière d’avocat et de militant m’avait dessillé les yeux. J’avais vu qu’il y avait une énorme différence entre ce qu’on m’avait enseigné dans les salles de cours et ce que j’avais appris dans les salles des tribunaux. Si, autrefois, j’avais considéré la loi de façon idéaliste, comme l’épée de la justice, aujourd’hui, je la voyais comme un outil utilisé par la classe au pouvoir pour façonner la société dans un sens qui lui était favorable. Je ne m’attendais jamais à la justice dans un tribunal même si je luttais pour elle et même si parfois je la rencontrais.
Dans le cas du procès de trahison, les juges s’étaient élevés au-dessus de leurs préjugés, de leur éducation et de leur passé. Il y a une lueur de bonté en l’homme, qui peut être cachée ou enterrée, mais qui peut apparaître sans qu’on s’y attende. Pendant tout le procès, le juge Rumpff, avec ses manières distantes, avait donné l’impression de partager le point de vue de la minorité blanche au pouvoir. Pourtant, au bout du compte, une impartialité fondamentale avait dominé son jugement. Kennedy était moins conservateur que ses collègues et semblait attiré par l’idée d’égalité. Une fois, par exemple, il s’était retrouvé dans le même avion que Duma Nokwe pour aller de Durban à Johannesburg et quand, à l’arrivée, le bus de la compagnie aérienne avait refusé de prendre Duma, Kennedy avait refusé d’y monter. Le juge Bekker m’avait toujours frappé par son ouverture d’esprit et il semblait savoir ce que les accusés qui se trouvaient devant lui avaient enduré à cause de l’accusation. Je fais l’éloge de ces trois hommes en tant qu’individus, pas en tant que représentants du tribunal ni de l’Etat, ni même de leur race, mais comme exemplaires de la décence humaine qu’on peut rencontrer chez l’adversaire. L’épouse du juge Bekker était une personne sensible aux besoins des autres. Pendant l’état d’urgence, elle organisait des collectes pour les accusés.
Mais, pour le gouvernement, la conséquence de cette défaite humiliante fut qu’il décida que cela n’arriverait plus jamais. A partir de ce jour-là, il ne fit plus confiance à des juges qu’il n’avait pas lui-même nommés. Il ne respecta plus ce qu’il appelait les subtilités juridiques, qui protégeaient les terroristes ou assuraient certains droits aux prisonniers. Pendant le procès de trahison, il n’y eut aucun exemple d’accusés isolés, battus ou torturés pour obtenir des informations. Mais tout cela est devenu monnaie courante tout de suite après.
SIXIÈME PARTIE
Le Mouron noir
40
Je ne suis pas rentré à la maison après le verdict. Les autres étaient d ’ humeur joyeuse et avaient envie de faire la fête, mais je savais que les autorités pouvaient frapper à tout moment et je ne souhaitais pas leur en donner l ’ occasion. Je voulais disparaître avant de recevoir un ordre d ’ interdiction ou être arrêté, et j ’ ai passé la nuit dans une maison sûre à Johannesburg, une nuit agitée dans un lit inconnu ; et je sursautais à chaque bruit de voiture, en pensant que c ’ était la police.
Walter et Duma m ’ ont accompagné pendant la première étape de mon voyage qui devait me conduire à Port Elizabeth. J ’ y ai rencontré Govan Mbeki et Raymond Mhlaba pour parler des nouvelles structures clandestines de l ’ organisation. Nous nous sommes retrouvés chez le Dr. Masla Pather, ce qui lui a valu plus tard d ’ être condamné à deux ans de prison. Dans des lieux sûrs, j ’ ai rencontré le directeur du journal de gauche, le Port Elizabeth Morning Post, afin de parler de la campagne pour une convention nationale, un objectif que par la suite
Weitere Kostenlose Bücher