Un long chemin vers la liberte
notre nouvelle décision. La réunion commença à 8 heures dans une atmosphère houleuse. Je donnai les mêmes explications et plusieurs personnes firent des réserves. Yusuf Cachalia et le Dr. Naicker nous supplièrent de ne pas nous embarquer dans cette voie, en soutenant que le gouvernement allait massacrer tout le mouvement de libération. J.N. Singh, un orateur redoutable, prononça cette nuit-là des mots qui me résonnent encore dans la tête : « La non-violence ne nous a pas mal servis, dit-il, c ’ est nous qui avons mal servi la non-violence. » Je lui ai répondu que c ’ était bien la non-violence qui ne nous avait pas servis car elle n ’ avait rien fait pour arrêter la violence de l ’ Etat ou pour changer le cœur de nos oppresseurs.
Nous avons parlé toute la nuit, et au petit matin, j’ai commencé à sentir que nous faisions des progrès. Beaucoup de responsables indiens envisageaient maintenant avec tristesse la fin de la non-violence. Puis brusquement, M.D. Naidoo, membre du Congrès indien d’Afrique du Sud, s’est levé et a dit à ses collègues indiens : « Vous avez peur d’aller en prison, c’est tout ! » Sa réplique a créé le désordre dans la réunion. Quand on remet en cause l’intégrité d’un homme, on peut s’attendre à un conflit. Le débat en est revenu à son point de départ. Mais au lever du soleil, nous avons abouti à une résolution. Le Congrès m’autorisait à former une nouvelle organisation militaire, séparée de l’ANC. La politique de l’ANC resterait la non-violence. J’étais autorisé à réunir tous ceux que je voulais ou dont j’avais besoin pour créer cette organisation et je ne dépendrais pas du contrôle direct de l’organisation mère.
Nous avions franchi une étape décisive. Pendant cinquante ans, l’ANC avait considéré la non-violence comme un principe central. Désormais, l’ANC serait une organisation d’un genre différent. Nous nous engagions dans une voie nouvelle et plus dangereuse, la voie de la violence organisée, dont nous ne pouvions connaître les résultats d’avance.
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Moi qui n ’ avais pas été soldat, qui n ’ avais jamais combattu, qui n ’ avais jamais tiré un coup de feu sur un ennemi, on m ’ avait confié la tâche d ’ organiser une armée. Cela aurait été une entreprise intimidante pour un général en retraite mais beaucoup moins pour un novice. Cette nouvelle organisation s ’ appelait Umkhonto we Sizwe (La lance de la nation), abrégé en MK. On avait choisi le symbole de la lance parce qu ’ avec cette simple arme les Africains avaient résisté aux Blancs pendant des siècles.
La direction de l’ANC n’admettait pas de Blancs, mais MK n’avait pas ce genre de contrainte et j’ai immédiatement recruté Joe Slovo, et, avec Walter Sisulu, nous avons constitué le Haut Commandement, dont j’étais le président. Par l’intermédiaire de Joe, je me suis appuyé sur les efforts de membres blancs du Parti communiste, déjà engagés sur la voie de la violence, et qui avaient réalisé des actes de sabotage comme la coupure de lignes téléphoniques et de voies de communication du gouvernement. Nous avons recruté Jack Hodgson, qui avait combattu dans la Seconde Guerre mondiale avec la légion Springbok, et Rusty Bernstein, tous deux membres du Parti communiste. Jack est devenu notre premier expert en destruction par explosifs. Notre mandat était de commettre des actes de violence contre l’Etat, mais nous n’avions pas encore décidé de la forme que prendraient ces actes. Nous avions l’intention de commencer par ce qui était le moins violent pour les individus et qui causait le plus de dommages pour l’Etat.
J’ai commencé par ce que je connaissais, en lisant et en parlant à des experts. Ce que je voulais trouver c’était les principes fondamentaux pour commencer une révolution. J’ai découvert qu’on avait abondamment écrit sur le sujet et je me suis lancé dans la littérature disponible sur la lutte armée et en particulier la guerre de guérilla : comment créer, entraîner et maintenir une force de guérilla ; comment devait-elle être armée ; où trouvait-elle ses approvisionnements – autant de questions élémentaires et fondamentales.
Chaque source de renseignements m ’ intéressait. J ’ ai lu le rapport de Blas Roca, le secrétaire général du Parti communiste cubain, sur les années d ’ illégalité pendant le
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