Un long chemin vers la liberte
l’Etat. Puis je demandai la récusation du président au motif que je ne me considérais pas moralement contraint d’obéir à des lois faites par un Parlement dans lequel je n’avais aucune représentation. Et parce qu’il n’était pas possible non plus de bénéficier d’un procès honnête de la part d’un juge blanc :
Pourquoi est-ce que, dans ce tribunal, je suis devant un magistrat blanc, confronté à un procureur blanc et escorté dans le box des accusés par des gardes blancs ? Quelqu ’ un peut-il honnêtement et sérieusement dire que, dans ce type d ’ atmosphère, les plateaux de la balance de la justice sont correctement équilibrés ? Comment se fait-il que dans toute l ’ histoire de ce pays, aucun Africain n ’ ait jamais eu l ’ honneur d ’ être jugé par les siens, par sa chair et son sang ? Je vais vous dire pourquoi, monsieur le président : le véritable but de cette barrière de couleur rigide, c ’ est de s ’ assurer que la justice rendue par les tribunaux soit conforme à la politique du pays, même si cette politique est en contradiction avec les normes de justice acceptées par les magistratures du monde civilisé. Monsieur le président, je hais les discriminations raciales avec la plus grande fermeté, ainsi que toutes leurs manifestations. Je les ai combattues toute ma vie. Je les combats en ce moment, et je les combattrai jusqu ’ à la fin de mes jours. Je déteste tout ce qui m ’ entoure ici. Cela me fait sentir que je suis un homme noir dans un tribunal d ’ homme blanc. Cela ne devrait pas être.
Au cours du procès, le procureur appela plus de cent témoins venus de tout le pays, y compris du Transkei et du Sud-Ouest africain. Il y avait des policiers, des journalistes, des directeurs de townships, des imprimeurs. La plupart d’entre eux apportèrent des preuves techniques qui montraient que j’avais quitté le pays illégalement et que j’avais incité des ouvriers africains à suivre la grève de trois jours à domicile en mai 1961. Il était indiscutable – et en réalité je ne le discutais pas – que j’étais coupable des deux chefs d’inculpation.
Le procureur avait appelé comme témoin Mr. Barnard, le secrétaire privé du Premier ministre, pour témoigner que la lettre que j’avais envoyée au Premier ministre demandait la convocation d’une convention nationale et l’informait qu’en cas de refus nous organiserions une grève de trois jours. Au cours de mon contre-interrogatoire de Mr. Barnard, j’ai d’abord lu la lettre qui demandait la convocation d’une convention nationale de tous les Sud-Africains pour rédiger une nouvelle constitution non raciale.
N.M. : Avez-vous présenté cette lettre au Premier ministre ?
T ÉMOIN : Oui.
N.M. : Le Premier ministre y a-t-il répondu ?
T ÉMOIN : Il n ’ a pas répondu à l ’ expéditeur.
N.M. : Il n’a pas répondu. Maintenant, êtes-vous d’accord pour reconnaître que cette lettre soulève des questions vitales pour l’immense majorité des citoyens de ce pays ?
T ÉMOIN : Je ne suis pas d ’ accord.
N.M. : Vous n’êtes pas d’accord ? Vous n’êtes pas d’accord que la question des droits de l’homme, des libertés civiles, est d’une importance vitale pour le peuple africain ?
T ÉMOIN : Si, ça l ’ est, en effet.
N.M. : Ces choses sont-elles mentionnées ici ?
T ÉMOIN : Oui, je le crois.
N.M. : Vous avez déjà reconnu que cette lettre soulève des questions comme le droit à la liberté, les libertés civiles, etc. ?
T ÉMOIN : Oui, la lettre soulève ces questions.
N.M. : Vous savez, bien entendu, que les Africains ne jouissent pas des droits que réclame cette lettre ? Ces droits leur sont refusés ?
T ÉMOIN : Certains droits.
N.M. : Aucun Africain n’est membre du Parlement ?
T ÉMOIN : C ’ est vrai.
N.M. : Aucun Africain ne peut être membre d’un conseil provincial ou d’un conseil municipal ?
T ÉMOIN : Oui.
N.M. : Les Africains n’ont aucun droit de vote dans ce pays ?
T ÉMOIN : Ils n ’ ont aucun droit de vote en ce qui concerne le Parlement.
N.M. : Oui, c’est ce dont je parle, je parle du Parlement et des autres organes de gouvernement du pays, les conseils provinciaux, les conseils municipaux. Ils n’ont aucun droit de vote ?
T ÉMOIN : C ’ est exact.
N.M. : Serez-vous d’accord avec moi pour reconnaître que dans
Weitere Kostenlose Bücher