Un long chemin vers la liberte
Vous aurez des problèmes avec les autorités qui sont souvent des alliés dans le travail. Vous perdrez tous vos clients, vous ferez faillite, vous ferez le malheur de votre famille et vous finirez en prison. Voilà ce qui vous arrivera, si vous faites de la politique. »
J ’ écoutais tout le monde et j ’ évaluais soigneusement les conceptions. Tous les arguments avaient des mérites. Je penchais déjà vers une sorte d ’ engagement politique mais je ne savais ni quoi ni comment, et je restais sur le bas-côté à hésiter.
En ce qui concernait ma profession, Gaur ne se contentait pas de me donner des conseils. Un jour, au début de 1943, alors que j ’ étais au cabinet depuis près de deux ans, il m ’ a pris à part et m ’ a dit : « Mon vieux, tant que je suis au cabinet, ils ne te nommeront jamais stagiaire, que tu aies ou non un diplôme. » J ’ ai été effrayé et j ’ ai dit à Gaur que ça ne pouvait être vrai, puisqu ’ il ne se destinait pas à être avocat. « Ça ne fait aucune différence, Nelson, a-t-il continué. Ils se diront : « Nous avons Gaur, il sait parler de droit aux gens, pourquoi est-ce qu ’ on aurait besoin de quelqu ’ un d ’ autre ? Gaur nous ramène déjà des clients. » Mais ils ne te le diront pas en face, ils vont simplement retarder la décision et gagner du temps. Il est important pour l ’ avenir de notre lutte dans ce pays que tu deviennes avocat, alors je vais quitter le cabinet et ouvrir ma propre agence immobilière. Quand je serai parti, ils n ’ auront pas d ’ autre choix que de te nommer. »
Je l ’ ai supplié de ne pas démissionner, mais il est resté inébranlable. Quelques jours plus tard, il a donné sa démission à Mr. Sidelsky, et ce dernier m ’ a nommé stagiaire comme il l ’ avait promis. Je suis incapable de dire si l ’ absence de Gaur avait un rapport direct, mais sa démission a été un exemple supplémentaire de sa générosité.
Au début de 1943, après avoir passé mon examen à l ’ UNISA, je suis retourné à Fort Hare pour la remise de mon diplôme. Avant de partir, j ’ ai décidé de me payer un costume correct. Il a fallu que j ’ emprunte de l ’ argent à Walter Sisulu. J ’ avais eu un costume neuf la première fois que j ’ étais allé à Fort Hare, acheté par le régent, et maintenant j ’ en aurais encore un neuf pour y retourner. J ’ ai emprunté le costume universitaire à Randall Phethemi, un ami étudiant.
Mon neveu, K.D. Matanzima, qui avait obtenu son diplôme quelques années auparavant, a conduit ma mère et No-England, la veuve du régent, en voiture à la cérémonie. J ’ étais heureux que ma mère soit là, mais la présence de No-England faisait comme si le régent lui- même avait béni l ’ événement.
Ensuite, j ’ ai passé quelques jours avec Daliwonga (le nom de clan de K.D, par lequel je l ’ appelais), chez lui à Qamata. Daliwonga avait déjà choisi la voie de la chefferie traditionnelle. Il devait devenir le chef des Thembus émigrants qui résidaient dans la partie ouest du Transkei et dans le temps que je passai avec lui il me pressa de revenir à Umtata après être devenu avocat. « Pourquoi restes-tu à Johannesburg ? m ’ a-t-il dit. C ’ est ici qu ’ on a besoin de toi. »
C ’ était juste : il y avait sans doute plus d ’ Africains diplômés dans le Transvaal que dans le Transkei. J ’ ai répondu à Daliwonga que sa suggestion était prématurée. Mais au fond de moi, je savais que je me dirigeais vers un engagement différent. Grâce à mon amitié avec Gaur et avec Walter, je commençais à comprendre que mon devoir était envers mon peuple dans son ensemble et pas simplement une partie ou une branche de ce peuple. Je sentais que tous les courants de ma vie m ’ entraînaient loin du Transkei et vers ce qui ressemblait au centre, un endroit où les loyautés régionales et ethniques cédaient la place à un but commun.
La remise des diplômes à Fort Hare m ’ offrit un moment d ’ introspection et de réflexion. J ’ ai été violemment frappé par la différence qui existait entre mes suppositions anciennes et la réalité qui s ’ offrait à moi. J ’ avais abandonné l ’ idée que les diplômés devenaient automatiquement des leaders et mes liens avec la famille royale thembu me garantissaient le respect. Avoir un bon salaire et réussir ma carrière n ’ étaient plus mes buts ultimes. Je me
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