Un long chemin vers la liberte
été un des esprits les plus vifs et les plus mordants que j ’ ai rencontrés. C ’ était un communiste convaincu, et il était connu pour ses soirées animées. Ruth avait une personnalité très ouverte et était un écrivain de talent. Tous deux étaient les enfants de juifs immigrés en Afrique du Sud. J ’ ai noué des amitiés éternelles avec George Bizos et Bram Fischer. George, fils d ’ immigrés grecs, combinait une nature sympathique et un esprit incisif. Bram Fischer, maître assistant, était le descendant d ’ une famille afrikaner distinguée : son grand-père avait été Premier ministre de la colonie d ’ Orange, et son père, juge-président de l ’ Etat libre d ’ Orange. Il aurait pu finir Premier ministre d ’ Afrique du Sud mais il est devenu un des amis les plus courageux et les plus résolus de la lutte de libération. Je me suis lié avec Tony O ’ Dowd, Harold Wolpe, Jules Brawde et sa femme Selma, qui étaient tous des extrémistes, membres du Parti communiste.
Je suis également devenu l ’ ami d ’ un certain nombre d ’ étudiants indiens. A Fort Hare, il y en avait une poignée, mais ils habitaient dans une résidence séparée et je n ’ ai eu que de rares contacts avec eux. A Wits j ’ ai connu et je me suis lié avec Ismail Meer, J.N. Singh, Ahmed Bhoola, Ramlal Bhoolia. Le centre de cette communauté était l ’ appartement d ’ Ismail, le numéro 13 dans Kholvad House, quatre pièces dans un immeuble résidentiel du centre ville. Nous y avons étudié, parlé et même dansé jusqu ’ au petit matin et l ’ appartement est devenu une sorte de quartier général des jeunes combattants de la liberté. J ’ y dormais quand il était trop tard pour attraper le dernier train pour Orlando.
Brillant et sérieux, Ismail Meer était né au Natal et, à la faculté de droit de Wits, il est devenu un des principaux membres du Transvaal Indian Congress. J.N. Singh était un garçon beau et populaire, à l ’ aise avec les gens de toutes couleurs et membre lui aussi du Parti communiste. Un jour, Ismail, J.N, et moi-même, nous nous dépêchions pour rentrer à Kholvad House, et nous sommes montés dans le tram autorisé aux Indiens mais interdit aux Africains. Nous n ’ étions pas là depuis longtemps quand le conducteur a dit en afrikaans à Ismail et à J.N, que leur « ami kaffir » n ’ avait pas le droit d ’ être là. Ismail et J.N, se sont mis en colère et lui ont répondu qu ’ il ne comprenait même pas le mot « kaffir » et que c ’ était insultant à mon égard. Le conducteur a immédiatement arrêté le tram et appelé un policier, qui nous a interpellés, conduits au poste et inculpés. On nous a donné l ’ ordre de nous présenter au tribunal le lendemain. Le soir, Ismail et J.N, ont demandé à Bram Fischer de nous défendre. Le lendemain, le juge semblait avoir peur des relations familiales de Bram. On nous a rapidement acquittés et j ’ ai vu en direct que la justice n ’ était pas du tout aveugle.
Wits m ’ a ouvert un nouveau monde, un monde d ’ idées, de convictions politiques et de débats, un monde où les gens se passionnaient pour la politique. J ’ étais parmi des intellectuels blancs et indiens de ma génération, de jeunes hommes qui formeraient l ’ avant-garde des mouvements politiques les plus importants des prochaines années. Je découvrais pour la première fois des gens de mon âge engagés fermement dans la lutte de libération, disposés, malgré leur situation relativement privilégiée, à se sacrifier pour la cause des opprimés.
TROISIÈME PARTIE
La naissance d’un combattant
de la liberté
11
Je suis incapable d ’ indiquer exactement le moment où je suis devenu politisé, le moment où j ’ ai su que je consacrerais ma vie à la lutte de libération. Etre Africain en Afrique du Sud signifie qu ’ on est politisé à l ’ instant de sa naissance, qu ’ on le sache ou non. Un enfant africain naît dans un hôpital réservé aux Africains, il rentre chez lui dans un bus réservé aux Africains, il vit dans un quartier réservé aux Africains, et il va dans une école réservée aux Africains, si toutefois il va à l ’ école.
Quand il grandit, il ne peut occuper qu ’ un emploi réservé aux Africains, louer une maison dans un township réservé aux Africains, voyager dans des trains réservés aux Africains et on peut l ’ arrêter à n ’ importe quelle heure du jour
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