Un Monde Sans Fin
poursuites. Non pas qu’elle souhaite à Ralph de s’en tirer
impunément, bien au contraire ! Elle aurait voulu le voir cuire à petit
feu. N’avait-elle pas elle-même tué deux hommes qui avaient voulu la violer ?
Ce qu’elle n’aimait pas, c’était l’idée que Wulfric prenne la tête du combat.
En partie parce qu’il était mû par une flamme inextinguible pour Annet – ce qui
la blessait et l’attristait –, mais surtout parce qu’elle craignait pour sa
vie. Son hostilité à l’égard de Ralph lui avait déjà coûté son héritage. Quelle
vengeance le seigneur lui ferait-il subir encore ?
Perkin prit la parole : « En tant que père de la
victime, j’estime qu’il faut laisser tomber les poursuites. Je ne veux pas
avoir d’ennuis supplémentaires. C’est très dangereux de déposer une plainte
contre son seigneur. Qu’il ait tort ou raison, il trouvera toujours un moyen
pour punir les plaignants.
— C’est trop tard, dit Wulfric, la plainte est déjà
déposée. Tout du moins par l’entremise du père Gaspard. Nous ne gagnerons rien
à tout abandonner maintenant.
— Nous sommes allés assez loin comme ça, insista
Perkin.
Nous avons mis Ralph dans l’embarras face au comte.
Désormais, il sait qu’il ne peut pas faire tout ce qui lui passe par la tête.
— Au contraire, rétorqua Wulfric. Si nous ne faisons
rien, il considérera qu’il s’en est sorti sans dommage. Et il est à craindre
qu’il recommencera. Aucune femme du village ne sera plus en sécurité. »
Gwenda avait déjà exposé à Wulfric les arguments que Perkin développait
ici. Il ne lui avait pas répondu. Depuis le fameux croche-pied dans la cour du
manoir, il lui parlait peine. Au début, elle s’était dit qu’il boudait parce
qu’il était vexé, et elle s’était attendue à ce qu’il n’y pense plus, une fois
revenu de Château-le-Comte. Mais elle s’était trompée. Cela faisait une semaine
qu’il ne la touchait plus, ni la nuit ni le jour. Il croisait rarement son
regard ; et il ne lui parlait que par monosyllabes et grognements. Elle en
était au désespoir.
Nathan le Bailli intervint à son tour : « Tu ne
gagneras jamais contre Ralph. Les serfs ne remportent pas la victoire sur les
seigneurs.
— C’est à voir ! riposta Wulfric. Tout homme a des
ennemis. Nous pouvons fort bien ne pas être les seuls à pâtir des débordements
de Ralph. Peut-être n’aurons-nous jamais le plaisir de le voir condamné par un
tribunal mais, en tout état de cause, nous devons lui créer le plus d’ennuis et
d’embarras possible. C’est le seul moyen pour qu’il réfléchisse à deux fois
avant de recommencer. »
Plusieurs villageois signifièrent leur accord d’un hochement
de tête, mais personne ne s’aventura à le soutenir tout haut. Gwenda retrouvait
peu à peu espoir. Mais c’était mal connaître Wulfric. Se tournant vers le
prêtre, il demanda : « Qu’en pensez-vous, père Gaspard ? »
Jeune, pauvre et sincère, le prêtre ne craignait pas la
noblesse, n’en attendant rien. Il ne caressait pas l’ambition de devenir évêque
et ne rêvait pas d’être admis dans les hautes sphères du pouvoir. Il dit :
« Annet a été violée de cruelle façon, et la paix de notre village brisée
par la faute d’un criminel. Le seigneur Ralph a commis une action vile et
honteuse. Il doit reconnaître sa faute et se repentir. Pour la victime et pour
notre honneur personnel, mais aussi pour sauver le seigneur Ralph des flammes
de l’enfer, nous nous devons d’en référer au seigneur William. »
Un grondement approbateur accueillit ses propos.
Wulfric regarda Billy Howard et Annet, assis côte à côte.
Gwenda se dit qu’au bout du compte le village suivrait les volontés du couple.
« Loin de moi le désir de créer des ennuis, déclara Billy, mais je
considère que nous devons achever ce que nous avons entamé. Pour le bien de
toutes les femmes du village. »
Annet continuait à fixer le sol, mais elle hocha la tête
pour signifier son consentement. Wulfric l’avait emporté, au grand dam de
Gwenda.
Au sortir de l’église, elle lui dit : « Tu as ce
que tu voulais ! » Et comme il répondait par un grognement, elle
insista : « Tu vas continuer à risquer ta vie pour l’honneur de la femme
de Billy Howard et persister à ne plus parler à la tienne ? »
Il garda le silence. Percevant l’hostilité entre ses
parents, Sammy se mit à pleurer. Gwenda était
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