Un Monde Sans Fin
l’adresse de sieur
Gérald et de dame Maud.
« Approche », dit Ralph, en tendant les mains.
Tilly tendit les siennes par automatisme. Mais en apercevant
la main gauche mutilée de son futur époux, elle ne put retenir un mouvement de
dégoût et fit un pas en arrière.
Un juron monta aux lèvres de Ralph. Il parvint à le réprimer
et réussit non sans peine à lancer sur un ton léger : « Que ma
blessure ne soit pas pour toi cause de frayeur mais de fierté, car c’est en
servant le roi que j’ai perdu mes doigts. » Il tendit les deux mains
devant lui, attendant qu’elle se reprenne.
Accomplissant un effort sur elle-même, elle les saisit.
« Maintenant, tu peux m’embrasser, Tilly. »
Se penchant vers Ralph, demeuré assis, elle présenta sa
joue.
Celui-ci, plaquant sa main blessée sur l’arrière de sa tête,
la força à tourner le visage jusqu’à ce que sa bouche se retrouve sous la
sienne. La voyant hésiter, il prit plaisir à prolonger le baiser. Et pas
seulement parce que ses lèvres étaient si douces, mais pour exaspérer le reste
de la compagnie. D’un geste lent et délibéré, il promena sa main valide sur la
poitrine de la petite. Ses seins, ronds et fermes, n’étaient pas ceux d’une
enfant.
Sur un soupir de satisfaction, il la libéra de son étreinte.
« Nous serons bientôt époux et femme. »
Puis il parcourut des yeux l’assistance : Caris cachait
mal sa colère. « La cérémonie aura lieu dans la cathédrale de Kingsbridge
dans quatre semaines à compter de ce dimanche », précisa-t-il avec
lenteur. Arrêtant son regard sur dame Philippa, il s’adressa à William :
« Ce mariage étant le souhait clairement exprimé de Sa Majesté le roi
Édouard, votre présence à la cérémonie serait pour moi un honneur, comte
William. »
Ce dernier acquiesça d’une brusque inclinaison de la tête.
Caris prit alors la parole pour la première fois :
« Seigneur, le prieur de Kingsbridge vous envoie ses salutations et vous
fait savoir qu’il sera honoré de célébrer la cérémonie, à moins bien sûr que le
nouvel évêque ne le souhaite lui-même. »
Comme Ralph hochait la tête aimablement, elle ajouta :
« Les personnes qui ont eu pour charge de veiller sur cette enfant
persistent à la considérer trop jeune pour vivre maritalement avec son époux.
— Je partage cette opinion », renchérit Philippa.
Sieur Gérald s’y rallia aussitôt. « Tu sais, fils, j’ai
attendu des années avant d’épouser ta mère. »
Mais Ralph n’avait pas l’intention d’entendre une histoire
évoquée mille fois devant lui. « À votre différence, père, le coupa-t-il,
j’épouse dame Matilda sur ordre du roi. »
Sa mère intervint : « Tu pourrais peut-être
attendre un peu, mon fils.
— J’ai déjà attendu plus d’une année ! Elle avait
douze ans quand le roi me l’a donnée. »
Caris dit encore : « Épousez cette enfant, oui, et
avec tout le faste requis, mais laissez-la retourner au couvent une année de
plus. Laissez à sa féminité le temps de se développer entièrement avant de la
ramener chez vous. »
Ralph émit un grognement de mépris. « Dans un an, je
serai peut-être mort, surtout si le roi décide de repartir pour la France. Il
faut un héritier aux Fitzgerald !
— C’est une enfant...»
Ralph haussa la voix. « Elle, une enfant ?
Regardez-la mieux !
Ce ridicule habit de nonne ne parvient pas à cacher ses
tétons.
— C’est du gras de bébé potelé...
— Est-ce qu’elle a des poils là où les femmes en
ont ? » lança Ralph.
Sa brutale crudité coupa le souffle à Tilly. Le rouge de la
honte envahit ses joues.
Caris hésita à répondre.
Ralph enchaîna : « Ma mère devrait peut-être
l’examiner en mon nom et me rapporter ce qu’il en est.
— Ce ne sera pas nécessaire, intervint Caris. Tilly a
effectivement des poils là où les enfants n’en ont pas.
— Je le savais ! s’écria Ralph. Ce n’est pas la
première fille...» Il s’interrompit, se rendant compte à temps qu’il valait
mieux ne pas décrire devant cette assemblée en quelles circonstances il avait
vu des jeunes filles du même âge que Tilly dans le plus simple appareil.
« Je m’en étais douté à sa silhouette, se reprit-il en évitant le regard
de sa mère.
— Voyons, Ralph ! En esprit Tilly est toujours une
enfant ! » insista Caris sur un ton suppliant très éloigné de celui
qu’on lui
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