Un Monde Sans Fin
important offrait plus de sécurité en cas d’attaque par
des bandits de grand chemin. C’était pour cela qu’au départ, les marchands
italiens avaient volontiers accepté la présence de Merthin parmi eux.
Transportant de l’argent et des marchandises de valeur, ils étaient escortés
par des soldats qui assureraient leur défense, naturellement. Cependant, ils se
réjouirent de voyager de concert avec une communauté de croyants dont les
habits religieux et les insignes de pèlerins n’attireraient pas l’attention des
brigands.
Merthin avait confié la plus grosse partie de sa fortune aux
Caroli, qui la lui remettraient en Angleterre par l’intermédiaire de leurs
parents établis là-bas. Ils pratiquaient ces transactions internationales à
longueur de temps et Merthin avait déjà eu recours à leurs services neuf ans
plus tôt, lorsqu’il avait transféré ses richesses, bien moindres il est vrai,
de Kingsbridge à Florence. Ce système, toutefois, n’était pas sans danger, car
une faillite était toujours possible si les familles qui pratiquaient ces
transferts de fonds prêtaient de grosses sommes à des personnages peu fiables,
tels que les rois et les princes. Le sachant, Merthin avait conservé sur lui,
cousue dans sa chemise, une somme importante en florins d’or.
Lolla apprécia le voyage. Seule enfant du groupe, elle
bénéficiait de toutes les attentions. Pendant les longs trajets à cheval, elle
était assise devant son père qui la maintenait bien en selle entre ses bras,
tout en tenant les rênes. Il lui chantait des chansons, récitait des vers,
racontait des histoires et commentait tout ce qu’ils voyaient autour d’eux –
les arbres, les moulins, les ponts, les églises. Il est à croire qu’elle ne
comprenait pas la moitié de ce qu’il disait, mais la voix de son père la
rendait heureuse.
Avant de se lancer dans cette équipée, il n’avait guère
consacré de temps à sa fille en raison de toutes ses occupations. À présent, il
espérait que leur proximité permanente scellerait entre Lolla et lui une
intimité qui aiderait la petite fille à supporter l’absence de sa mère. Tel
était le sentiment qu’il éprouvait lui-même, car, sans Lolla, la solitude lui
aurait pesé affreusement. De fait, l’enfant cessa bientôt de réclamer sa maman.
En revanche, il lui arrivait parfois de se cramponner désespérément à son cou
comme si elle était terrifiée à l’idée de le perdre, lui aussi.
Ce ne fut qu’à Chartres, à une vingtaine de lieues de Paris,
que Merthin douta pour la première fois de la sagesse de sa décision :
lorsqu’il se trouva face à l’immense cathédrale. Devait-il réellement retourner
en Angleterre ? La vue de ces deux tours, dont celle du nord demeurait
inachevée, alors que celle du sud s’élevait à trois cent cinquante pieds
au-dessus du sol, avait ravivé son ancien désir de bâtir d’aussi grands
monuments. Hélas, il était peu probable que sa vie à Kingsbridge lui offre à
l’avenir l’occasion de réaliser ses ambitieux projets.
Il séjourna deux semaines à Paris. La peste n’était pas
arrivée jusque-là et c’était un immense soulagement que de voir autour de soi
des gens mener une vie normale, vendre et acheter ce dont ils avaient besoin et
se promener dans les rues sans crainte de découvrir des cadavres empilés sur le
seuil des maisons. Ce spectacle le ragaillardit et il se rendit compte combien
l’horreur qu’il avait vécue à Florence l’avait grandement affecté. Il visita
différents palais de la ville ainsi que la cathédrale, dessinant dans son
carnet toutes sortes de détails intéressants. Il s’était fait fabriquer un
petit cahier dans ce nouveau matériau destiné à l’écriture et appelé
« papier » dont l’emploi s’était très vite répandu en Italie.
Au départ de Paris, il fit route avec une famille de la
noblesse qui s’en retournait à Cherbourg. L’ayant entendu converser en italien
avec Lolla, les Normands et leur entourage n’avaient pas imaginé avoir affaire
à des Anglais. Merthin ne chercha pas à les détromper ; il savait combien
ses compatriotes étaient hais dans le nord de la France. Traversant cette contrée
à la vitesse d’un promeneur, il eut tout loisir d’observer sur les églises et
les abbayes les traces du saccage perpétré par l’armée du roi Édouard, dix-huit
mois plus tôt.
Il aurait pu voyager plus rapidement, bien qu’il mène par
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