Un Monde Sans Fin
était au courant de ses amours, même si personne n’en détenait
la preuve. Mais dans ce domaine, les gens ne se trompaient guère en règle
générale.
« Quel âge a le petit de Griselda maintenant ? Sept
ans ? Huit ?
— Dix.
— Oh là là, j’ai un de ces mal aux genoux ! se
plaignit Bessie. Regarde, ils sont énormes ! » Et, pour appuyer son
propos, elle remonta sa jupe sur ses jambes. « J’ai toujours détesté mes
genoux, mais Richard les aimait bien. »
Merthin baissa les yeux. Son regard effleura les cuisses
blanches de Bessie pour se poser sur ses genoux. Ils étaient effectivement
dodus au point de présenter des fossettes.
« Richard aimait bien les embrasser, dit-elle. Il était
si doux. » Elle rajusta sa robe en la relevant complètement sur ses
jambes, comme s’il n’y avait pas moyen de faire autrement. L’espace d’un
instant, elle offrit à Merthin une vue parfaite sur son attirante touffe de
poils près de l’aine. « Parfois, il m’embrassait partout, surtout après le
bain. Je m’y suis habituée. J’aimais tout ce qu’il me faisait. Un homme peut
faire tout ce qu’il aime à une femme qui l’aime. Tu ne trouves
pas ? »
Merthin se leva. « Tu as probablement raison, mais ce
genre de conversation ne débouche que sur une chose. Mieux vaut que j’aille me
coucher avant de commettre un péché. »
Elle lui souhaita bonne nuit avec un sourire attristé.
« Dors bien. Si tu te sens seul, tu me trouveras ici, près du feu.
— J’en prends note. »
*
Mère Cécilia eut droit à un véritable lit, et non à une
paillasse à même le sol, lorsqu’on l’installa dans l’hospice à l’endroit le
plus saint de tous : juste devant l’autel. Rassemblées autour de sa
couche, les religieuses prièrent et chantèrent sans interruption toute la
journée et toute la nuit par petits groupes qui se relayaient, veillant à ce
qu’il y ait toujours à portée de sa main une tasse d’eau claire puisée à la
fontaine et quelqu’un pour rafraîchir son visage avec de l’eau de rose. Las,
ces soins demeuraient sans effet ; la mère prieure déclina aussi
rapidement que les autres malades. Son sang s’échappait par presque tous ses
orifices, du nez au vagin. Sa respiration était de plus en plus difficile et sa
soif inextinguible.
Au cours de la quatrième nuit, après avoir éternué, elle manda
Caris.
Celle-ci était profondément endormie, épuisée par son
activité incessante dans cet hospice qui ne désemplissait pas. En cet instant
précis, elle était immergée dans un rêve où tous les enfants de Kingsbridge
étaient atteints de la peste et où elle courait d’un bout à l’autre de la
grande salle pour s’occuper de tout le monde à la fois. Et voilà qu’un enfant
tirait sur sa manche violemment, juste au moment où elle venait de se rendre
compte qu’elle aussi avait attrapé la maladie. Elle refusait de lui prêter
attention, essayant désespérément d’imaginer un moyen pour que la multitude de
patients continue à bénéficier de soins alors qu’elle-même serait bientôt sans
forces. Brusquement, elle prit conscience qu’on la secouait pour de vrai, par
l’épaule, en la suppliant instamment de se réveiller. « Ma sœur,
vite ! La mère prieure vous réclame de toute urgence ! »
Elle ouvrit les yeux. Une novice se tenait près de sa
couche, une bougie à la main. « Comment va-t-elle ? demanda Caris.
— Elle est au plus mal, mais elle peut encore parler et
vous réclame ! »
Caris bondit hors de son lit et chaussa ses sandales.
C’était le milieu de la nuit. Dehors, il faisait un froid glacial. S’étant
couchée tout habillée, elle n’eut qu’à jeter sa couverture sur ses épaules. L’instant
d’après, elle dévalait l’escalier en pierre.
L’hospice croulait sous le nombre des morts. Une forte odeur
de sang imprégnait l’atmosphère. Les paillasses avaient été alignées en épi sur
le sol pour que les patients encore capables de se tenir assis puissent
apercevoir l’autel. Les familles se pressaient autour des lits. À genoux auprès
de Cécilia, quatre religieuses chantaient.
Caris prit une bande de toile propre dans un panier placé
près de la porte et s’en couvrit la bouche et le nez. Apercevant la prieure les
yeux fermés, elle craignit d’être arrivée trop tard. Mais celle-ci, sentant sa
présence, tourna la tête et ouvrit les yeux.
Caris s’assit au bord de son lit. Ayant
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