Un Monde Sans Fin
aimiez le mieux. Vous vous méprenez. Le
roi ne s’est pas enquis de vos préférences, il vous a donné un ordre. Puisque
vous avez refusé de l’accomplir, il en a émis un autre. C’est ainsi, vous devez
vous y soumettre.
— Je regrette vivement mon attitude, insista Philippa.
Je vous supplie d’épargner ma fille.
— S’il n’en tenait qu’à moi, je rejetterais votre
requête pour châtier votre entêtement. Mais c’est au seigneur Ralph, ce me
semble, qu’il revient de décider. »
Philippa se tourna vers le maître de céans. Le mélange de
rage et de désespoir qu’il lut dans ses yeux l’emplit d’une excitation intense.
La femme la plus hautaine qu’il ait connue de sa vie n’avait d’autre choix que
de s’humilier devant lui. Il avait maté sa fierté. Il l’aurait volontiers
possédée là, sur-le-champ.
Mais il tenait d’abord à savourer ce moment.
« Vous avez quelque chose à me dire ? lui
lança-t-il.
— Je vous présente mes excuses.
— Approchez », dit-il en caressant la tête de lion
sculptée sur l’accoudoir de son fauteuil. Il était assis en tête de table.
« Je vous écoute, reprit-il quand elle fut près de lui.
— Je suis désolée de vous avoir éconduit plus tôt. Je
retire ce que j’ai dit. J’accepte de vous épouser.
— Je n’ai pas renouvelé ma demande. Le roi m’a ordonné
d’épouser Odila.
— Si vous priez le roi de revenir à son projet initial,
je suis sûre qu’il vous entendra.
— C’est donc ce que vous me demandez de faire.
— Oui. » Elle le regarda dans les yeux, ravalant
son ultime humiliation. « Je vous le demande... Je vous en implore,
seigneur Ralph. Par pitié, faites de moi votre épouse. »
Ralph se leva de son fauteuil. « Embrassez-moi,
alors. »
Elle ferma les yeux.
Il passa un bras autour de ses épaules et, l’attirant vers
lui, posa ses lèvres sur les siennes. Elle se laissa faire sans réagir. Ayant
emprisonné son sein dans sa main, il le découvrit aussi ferme et lourd qu’il
l’avait toujours imaginé. Puis il fit descendre sa main le long de son corps,
jusqu’à son entrejambe. Elle tressaillit, mais ne tenta pas de se dégager. Il
pressa sa paume contre la fourche de ses cuisses et tint dans sa main le
triangle rebondi de son mont de Vénus.
Sans le lâcher, il détacha ses lèvres de celles de Philippa
et se tourna vers ses amis avec un sourire radieux.
76.
Le jour où Ralph fut nommé comte de Shiring, un jeune homme
du nom de David Caerleon devint comte de Monmouth. Il n’était apparenté que de
très loin au comte défunt, mais tous les autres héritiers du titre avaient été
décimés par la peste.
Quelques jours avant Noël, l’évêque Henri célébra un office
dans la cathédrale de Kingsbridge pour bénir les deux nouveaux comtes. Le même
jour, les marchands fêtaient l’octroi de la charte royale à la ville, et David
et Ralph furent conviés, en tant qu’hôtes d’honneur, au banquet donné à cette
occasion par Merthin dans la salle de la guilde.
Ralph restait stupéfait devant la bonne fortune de David. Ce
garçon, qui n’avait jamais quitté le royaume ni guerroyé, devenait comte à
seulement dix-sept ans. Lui-même avait traversé toute la Normandie avec l’armée
du roi Édouard, risqué sa vie dans maintes batailles, commis d’innombrables
péchés au service du souverain et, malgré sa bravoure, il avait dû attendre
l’âge de trente-deux ans pour se voir conférer ce titre.
Mais peu importait : il avait atteint son but et se
trouvait maintenant assis à côté de l’évêque Henri, dans un somptueux manteau
de brocart tissé de fils d’or et d’argent. Les gens qui le connaissaient le
désignaient aux étrangers ; les riches marchands de la ville lui faisaient
place et s’inclinaient respectueusement sur son passage ; quant à la jeune
servante, ce fut d’une main tremblante qu’elle lui servit du vin. Son père,
sieur Gérald, grabataire mais bien vivant, avait déclaré :
« Descendant d’un comte et père d’un comte, je suis comblé. »
Ces honneurs procuraient à Ralph une profonde satisfaction
et lui faisaient presque oublier ses soucis.
L’un d’eux cependant ne laissait de le tourmenter : la
pénurie de main-d’œuvre paysanne. En cette époque de l’année où les labours d’automne
étaient achevés, les journées étaient trop courtes et le temps trop froid pour
travailler la terre. Mais, dès le
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