Un Monde Sans Fin
l’épier derrière les buissons.
Mon fils adoré, tu apprendras bientôt ma mort. Sache
qu’il n’en est rien .
Merthin resta éberlué ; il s’attendait à tout sauf à
pareille révélation.
Ta mère, la reine, épouse de mon cœur, a subverti le
comte Roland de Shiring et ses fils. Ils ont lancé des assassins à mes
trousses. Thomas m’en a averti à temps et leurs hommes de main ont pu être
occis.
Thomas n’était donc pas le meurtrier du roi, mais son
sauveur.
N’ayant pas réussi à me tuer une première fois, ta mère
s’y emploiera à nouveau, car elle ne se sentira jamais en sûreté avec son amant
tant que je serai de ce monde. J’ai donc troqué mes vêtements contre ceux d’un
spadassin qui avait la même taille et la même allure que moi. Puis, j’ai
soudoyé plusieurs personnes qui jureront que son cadavre est le mien. Ta mère
saura la vérité sitôt qu’elle verra mon corps. Toutefois, elle jouera la
comédie car, déclaré mort, je ne serai plus une menace pour elle. Aucun rebelle
ni prétendant au trône ne pourra se revendiquer de moi.
Merthin était sidéré. Le pays tout entier avait cru à la
mort d’Édouard II. L’Europe entière avait été dupe.
Qu’était-il donc arrivé ensuite à l’ancien roi ?
Je ne te révélerai pas ma destination. Sache seulement
que j’ai l’intention de quitter à jamais mon royaume d’Angleterre. Néanmoins,
je prie le ciel de te revoir, mon fils, avant de mourir.
Pourquoi Thomas avait-il enterré cette lettre au lieu de la
faire parvenir à son destinataire ? Avait-il craint pour sa vie et vu en
ce bout de papier un puissant moyen de se protéger ? Dès lors que la reine
Isabelle feignait de croire au décès de son époux, elle se retrouvait dans
l’obligation de transiger avec les rares personnes au fait de la vérité.
Merthin se rappela soudain que lorsqu’il n’était encore qu’un jeune garçon, le
comte de Kent avait été reconnu coupable de trahison et décapité pour avoir
soutenu qu’Édouard II était encore en vie.
Oui, la reine Isabelle avait envoyé ses sbires tuer Thomas
et ceux-ci l’avaient rattrapé aux portes de Kingsbridge. Mais le chevalier
avait réussi à s’en débarrasser grâce à un gamin de dix ans, Ralph. Après cela,
Thomas avait dû menacer de révéler toute l’affaire, dont il détenait la
meilleure preuve : cette lettre du roi à son fils. Ce soir-là, à l’hospice
du prieuré de Kingsbridge, il avait certainement passé un accord avec la reine
par l’entremise du comte Roland et de ses fils. Il avait dû promettre de garder
le secret à condition d’être admis au prieuré, s’y sachant à l’abri parmi les
moines. Et il avait certainement fait savoir que la lettre, mise en lieu sûr,
serait divulguée à sa mort. Cela, pour le cas où la reine aurait été tentée de
manquer à sa parole. En conséquence, Isabelle n’avait pu faire autrement que de
veiller à ce qu’il reste en vie.
Le vieux prieur Anthony, qui avait eu vent d’une partie de
l’histoire, s’était confié à mère Cécilia juste avant de rendre l’âme.
Celle-ci, sur son lit de mort, en avait à son tour répété des bribes à Caris.
Oui, songea Merthin, les secrets pouvaient perdurer des décennies. Toutefois,
au moment de se présenter devant Dieu, l’homme se sentait tenu de dire la
vérité. Mais voilà qu’un beau jour, était tombée sous les yeux de Caris la
charte par laquelle la reine faisait don de Grange-lès-Lynn au prieuré, à
condition que Thomas y soit admis en tant que moine. Par ses questions,
comprenait maintenant Merthin, elle avait fait craindre qu’une pièce à
conviction attestant la véracité de cette histoire ne soit révélée au grand
jour. Son intérêt subit pour Grange-lès-Lynn avait suscité un tel émoi que
sieur Grégory Longfellow avait convaincu Ralph de s’introduire dans le couvent
pour y dérober les chartes des religieuses, dans l’espoir que la lettre
compromettante se trouverait parmi elles.
Le temps avait-il émoussé la force destructrice de ce
document ? Isabelle était décédée trois ans plus tôt à un âge avancé.
Édouard II était sans doute mort, lui aussi. S’il était encore de ce monde, il
aurait soixante-dix-sept ans. Édouard III avait-il quelque chose à redouter
s’il venait à se savoir que son père avait vécu des années, alors que le monde
entier le croyait mort et enterré ? Non, c’était
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