Un vent d'acier
Chaumette et leurs amis du Conseil général préparaient effectivement un nouveau 31 mai. Ils entendaient « purger » une fois encore la Convention au moyen d’un autre soulèvement, et dans ce but ils accroissaient par tous les moyens en leur pouvoir la raréfaction des denrées, afin de pousser le mécontentement à la fureur, et ils travaillaient en secret les sociétés populaires. Depuis le décret interdisant aux sections de s’assembler plus de deux fois la semaine, la plupart d’entre elles s’étaient constituées en sociétés populaires. Elles s’agitaient fort, au sujet de Vincent et Ronsin, contre les Philippotins, les Indulgents, les Dantonistes, considérés comme une nouvelle Gironde. « J’en suis certain, dit Jean Dubon, un complot s’organise à la Commune, avec des complices ici même, à la Sûreté générale et dans la Convention.
— Nous ne l’ignorons pas, tu penses bien, répondit Claude. Je répète sans cesse à Maximilien qu’il faut en finir. Allons le trouver. »
Ils passèrent dans l’ancien billard, devenu le cabinet de Robespierre. Maximilien les écouta mais secoua négativement la tête. Les Hébertistes, ils venaient de le montrer, étaient trop forts pour que l’on rompît en visière avec eux. De plus, ils contrebalançaient la dangereuse influence des amis de Danton. Si l’on abattait Hébert, on serait débordé par la surenchère des Indulgents, et la république disparaîtrait sous le flot renaissant du feuillantisme, du royalisme. « Pour le moment, ajouta Robespierre, l’intrigant d’Églantine et le malheureux Camille m’inquiètent davantage qu’Hébert. Malgré mes avertissements, Camille persévère dans l’erreur, il sert la doctrine liberticide des hommes du 22 frimaire. Il ne se rend pas compte que, tout en me louant, il combat pour la contre-révolution. Je me demande si Danton pousse secrètement ses amis ou s’il est dépassé par eux, par Fabre qui a toujours été son mauvais génie. Quoi qu’il en soit, Hébert n’a pas tort : les Dantonistes deviennent de nouveaux Brissotins. Le danger est là. »
Dubon fut frappé par l’air tourmenté, malade, de Robespierre. « Tu sembles bien fatigué, lui dit-il, tu devrais prendre quelques jours de repos.
— Me reposer ! Le puis-je donc, quand tout se conjugue pour menacer mon ouvrage ? Il faut tenir contre vents et marées. Il faut aller jusqu’au bout. » Il se passa la main sur le visage, et répéta : « Jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte ! »
DEUXIÈME PARTIE
I
L’hiver était affreux, plus rude encore que celui de l’année précédente. La Seine charriait des bancs de glace qui se soudaient par endroits. Le petit bras était entièrement pris. En avant du Pont-Neuf, les batelets ne circulaient plus d’une rive à l’autre, entre le port Nicolas et le quai des Quatre-Nations.
Jamais le peuple n’avait tant souffert. Il manquait de tout : de nourriture, de feu, de luminaire. La seconde loi du maximum, qui taxait les marchandises à la production, fixait le prix de leur transport, le bénéfice du vendeur de gros et celui du détaillant, n’était pas appliquée partout, et là où elle s’appliquait strictement le commerce disparaissait : il se pratiquait sous le manteau. Grâce aux efforts de Robert Lindet et de la commission des subsistances, siégeant à l’hôtel de Toulouse, le pain ne faisait pas trop défaut, moins qu’à d’autres périodes ; mais, pour la grande partie de la population, c’était à peu près le seul aliment. Depuis l’insurrection, la Vendée, le Bocage, grands producteurs de viande, n’en fournissaient plus. Pas davantage les départements du Nord et du Rhin ravagés par la guerre. Les bouchers, qui parvenaient à trouver des animaux, à très haut prix, ne vendaient à la taxe que les déchets. La bonne viande et même les bas morceaux s’en allaient aux cuisines des traiteurs, des riches ou des citoyens capables de payer le plat de côtes dix fois ce que valait auparavant le filet. Pour les légumes, les œufs, le beurre, le poisson, ils n’arrivaient point jusqu’à Paris. Des acheteurs clandestins, hommes ou femmes – des filles publiques privées de leurs ressources par les arrêtés du vertueux Chaumette – faisaient métier de se rendre chaque jour sur les routes, au-devant des paysans, des mareyeurs, pour acquérir leurs chargements au prix fort, ou de parcourir les campagnes, raflant œufs, volailles,
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