Un vent d'acier
avec ce siège et vînt attaquer ici.
« Depuis quand êtes-vous sur ces positions, colonel ?
— Oh ! depuis bien plus d’un mois, répondit-il. C’est le général Custine qui les a établies. »
Bernard ne voulut rien dire, il ne lui appartenait pas de critiquer. La chose lui semblait néanmoins monstrueuse. Cette incurie était pire que les hésitations d’Harville, à Jemmapes. Quoi ! la garnison de Mayence, nul ne l’ignorait en Europe, n’avait cessé depuis la fin avril de tenir l’assiégeant à distance par des sorties héroïques, et d’ici on ne trouvait pas moyen de le harceler par-derrière pour aider les défenseurs ! En vérité, cela pouvait offrir présentement un avantage, car l’ennemi devait avoir pris l’habitude de cette tranquillité. Il ne s’attendait plus à une attaque. Pourvu seulement qu’il ne fût pas trop tard !
Sage entra. « Les officiers, annonça-t-il, attendent le général pour lui offrir un dîner de bienvenue.
— Où cela ? Conduis-moi. »
Bernard le suivit dans une salle agréablement décorée de verdure où la nappe blanche sur une longue table, des bouteilles de vin du Rhin, des bretzels empilés, annonçaient un festin. Tout l’état-major était là.
« Citoyens, dit le nouveau commandant en chef, merci de votre intention, elle me touche plus que je n’ai le temps de vous le dire, mais nous ne sommes pas ici pour banqueter. Mille regrets ! Mayence peut tomber d’un instant à l’autre. À cheval ! Faites main basse sur les viandes si la faim vous presse, vous mangerez en selle. »
Dix minutes plus tard, l’état-major galopait. On avait amené à Bernard une magnifique bête noire, pleine de feu. Il devait la tenir court pour l’empêcher de prendre une allure trop vive. Le colonel Laferières chevauchait à la hauteur de son chef et souriait.
« J’ai le sentiment, dit-il, que vous allez nous mener la vie dure, général.
— Point par goût, croyez-le. Je ne suis nullement féroce, mais le temps nous presse. »
Sage les rattrapa. Tirant de ses fontes une cuisse de poulet, il la tendit à Bernard ; puis, regardant le colonel, il décida de lui en donner aussi : il était plaisant, ce garçon. Le brave Jean ne regrettait pas d’avoir quitté sa sœur et le confortable hôtel de la rue de l’Université pour revenir à l’armée, servir agréablement la patrie. Il y avait une sacrée différence entre sa condition présente et les temps noirs du camp de Villers-Cotterêts. Rétabli dans son grade de sergent après Neerwinden, il se sentait en fait quelque peu général lui-même. N’était-ce pas grâce à lui que Delmay pouvait se consacrer tout entier à sa tâche ?
La cavalcade courait entre des pentes couvertes de sapins noirs sous un ciel bleu de lin. Les postes se succédaient, faibles d’abord sur les arrières, plus importants aux ailes des corps dont ils assuraient la liaison. Les hommes ne semblaient pas en mauvais état, en revanche leurs vêtements, où ne subsistaient que des vestiges d’uniformes, tombaient en guenilles. Pire encore, les armes manquaient. On voyait des sentinelles monter la garde avec un simple briquet.
Au premier état-major divisionnaire, le rapport du général atterra Bernard. Le colonel Laferières lui avait bien signalé l’insuffisance des fournitures. Il en était de même partout, et lui aussi, dans tous ses grades, n’avait cessé de s’en plaindre comme tout le monde. Il n’imaginait pas qu’ici cette insuffisance pût atteindre un pareil degré. À l’armée du Nord chaque soldat, du moins, possédait un fusil. Avec une amère ironie, le général Ferrette déclara qu’il en avait « un tiers par homme », et pas plus de vingt cartouches par fusil, que la moitié des canons d’infanterie était inutilisable faute de lumières de rechange, enfin qu’il ne lui restait presque plus de munitions pour les batteries de campagne.
Dans toutes les divisions ce fut la même antienne. Bernard commençait de comprendre pourquoi l’armée du Rhin et de Moselle restait immobile. La cavalerie, les attelages de l’artillerie avaient été décimés par le manque de fourrages. Les chevaux subsistant n’avaient survécu qu’en mangeant les seigles, à la grande fureur des indigènes auxquels on préparait la disette pour l’année à venir. Non seulement il était difficile d’attaquer, mais encore on aurait de la peine à repousser une offensive. La seule chose dont on
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