Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
fantoche » – le régime de Sài Gòn – menace de s’effondrer, les États-Unis interviendront-ils militairement et dans quelle proportion ? Cette fois, on lui demande d’effectuer une « recherche profonde » et de prendre son temps.
Pham Xuân Ân parvient à se procurer un rapport secret du Comité d’études stratégiques de Sài Gòn, adressé au chef du régime sudiste, le président Nguyên Van Thiêu. Ce rapport est fascinant. Il décrit l’état de dégradation de l’armée sud-vietnamienne et affirme que le gouvernement américain n’est plus en situation, quelles que soient les circonstances, d’intervenir pour sauver le régime de Sài Gòn en raison de l’impopularité de la guerre aux États-Unis. Le document estime que les troupes américaines ne reviendront pas, que la VII e flotte américaine ne sera pas redéployée, de manière offensive, le long des côtes du Viêt Nam et que les B-52 ne seront pas utilisés. Il ajoute même que la réduction de l’aide militaire américaine va se poursuivre.
Encore plus étonnant, l’auteur du rapport, le général Nguyên Xuân Triên, président du Comité d’études stratégiques de l’armée de Sài Gòn, écrit au président Nguyên Van Thiêu que le point le plus vulnérable du dispositif de défense du Sud est la région de Buôn Ma Thuôt, sur les Hauts-Plateaux. Si ce secteur est pris par les Nord-Vietnamiens, l’ensemble du système de défense du Sud s’effondrera et il faudra envisager un repli pour défendre seulement la région de Sài Gòn et le delta du Mékong. Or, le général Vo Nguyên Giáp a justement prévu, en cas d’offensive généralisée, de poursuivre l’attaque de Phuóc Long dans le secteur de Buôn Ma Thuôt.
Pham Xuân Ân fait parvenir à Hà Nôi sa réponse, accompagnée du rapport du général Nguyên Xuân Triên, dans « un court laps de temps », selon le chef du réseau viêt công en charge de lui procurer un appui. Elle est sans ambiguïté : dans sa lettre de présentation, Pham Xuân Ân a écrit qu’il est « certain » que les États-Unis ne relanceront pas la guerre. Le feu vert est donné à l’offensive généralisée. Le 10 mars 1975, Buôn Ma Thuôt, verrou essentiel mais piètrement défendu par un régiment de fantassins, est occupé sans difficulté. La prise de Sài Gòn interviendra le 30 avril, soit sept semaines plus tard.
« Fin 1974, quand la province de Phuóc Long est passée sous le contrôle des communistes, le président Nguyên Van Thiêu aurait dû tout faire pour la reprendre. Mais il n’a pas bougé, le temps de voir comment les Américains allaient réagir. Il n’a entendu que des promesses : les Américains n’ont pas bougé non plus. À ce moment-là, j’ai pu rapporter à Hà Nôi que les Américains n’interviendraient pas », résume Pham Xuân Ân.
Ce qui a été le cas. La direction communiste demeure toutefois prudente. « Une attaque de diversion, raconte Pham Xuân Ân, est lancée dans le Centre, avec succès. Ce qui veut dire que même la diversion marche. Hà Nôi reste toutefois sur ses gardes car la flotte de guerre américaine, affectée aux évacuations, se rapproche des côtes du Sud. Les communistes s’engagent, secrètement, à ne pas attaquer l’évacuation des Américains et tiennent parole. Aucun hélicoptère n’a été abattu. » La flotte américaine participe activement à cette évacuation, à telle enseigne que des navires sont contraints de jeter à la mer, après en avoir recueilli les passagers, des dizaines d’hélicoptères sud-vietnamiens car il n’y a plus de place à bord. Ces images font le tour du monde.
Non seulement Pham Xuân Ân a vu juste mais il n’a eu aucun doute. Compte tenu de la paralysie du pouvoir à Washington, l’Amérique demeurera neutre. Aussi, point essentiel à ses yeux, « le rapport de forces » est, cette fois-là et contrairement aux précédentes, favorable à Hà Nôi.
Deux décennies auparavant, lorsque le D r Thach avait indiqué à Pham Xuân Ân que sa tâche serait d’espionner, il l’avait désigné comme le premier membre d’un réseau d’« espions stratégiques ». La suite a montré que, pour être ambitieux, le qualificatif n’en est pas moins en dessous de la réalité. Pham Xuân Ân n’a pas été une taupe comme les autres : au fil des années, ses analyses ont gagné en autorité. Ses avis contribuent de plus à plus à
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