Une veuve romaine
nouvelle fois, ce fut Petro qui alla ouvrir. J’imaginais son angoisse à l’idée qu’il allait peut-être découvrir une autre petite amie sur mon seuil… Après avoir gratifié Helena d’un sourire, je partis à son secours. Je n’avais pas eu le temps de faire deux pas qu’il revint vers moi.
— C’est la panique, Marcus. Peux-tu venir ? (Mon ami, habituellement si calme, paraissait au comble de l’excitation.) Ce sont des foutus prétoriens ! Mars seul sait ce qu’ils veulent. Soi-disant que tu aurais invité Titus à venir goûter ton poisson…
Tous les ingrédients étaient réunis pour un désastre social majeur.
Je fis un clin d’œil à Helena.
— Alors ? Tu comptes rester plantée là, à laisser admirer ta beauté, ou tu viens m’aider à recevoir ?
31
Elle décida de me sauver. Il le fallait. Cette fille avait une conscience. Elle n’allait pas risquer d’embarrasser Titus César, en le laissant seul aux prises avec une bande de plébéiens turbulents. Helena serra bravement les dents. Je lui adressai mon sourire le plus charmeur. Pour une soirée au moins, j’avais à ma disposition une fille de sénateur pour me servir d’hôtesse. Je ne lui demandais pas de savoir faire la cuisine, seulement de recevoir.
Les membres de ma famille ne virent aucune raison de changer les habitudes de toute une vie, sous prétexte que j’avais un invité impérial. Quand je me précipitai, avec Helena, pour lui offrir l’accueil raffiné auquel il était habitué, c’était déjà trop tard. Ils l’avaient installé sur un tabouret, avec un bol d’olives sur un genou, pour qu’il puisse regarder le turbot en train de cuire. D’abord un peu surpris, il ne tarda pas à s’adapter à l’ambiance. Ils se présentèrent tous à lui sans m’attendre. Helena testa le poisson de la pointe d’un couteau ; Petronius me colla une coupe de vin dans la main ; et le brouhaha reprit autour de moi, au point que je me faisais l’impression d’être un campagnol pris dans un violent orage.
Il ne fallut que quelques instants à Titus, et une coupe d’un vin de Campanie de qualité inférieure, pour s’adapter aux coutumes de la maison ; bientôt, il hurlait ses conseils aussi fort que les autres. Personne n’étant crâneur dans ma famille, ils l’acceptèrent comme l’un d’entre eux. En fait, ils étaient beaucoup plus intrigués par la jeune femme de classe supérieure, celle dont la tête parfumée se penchait près de la mienne au-dessus de ma marmite improvisée.
Les prétoriens ne purent faire autrement que d’attendre dehors. Heureusement, quand les femmes Didius apportent du pain pour une fête, il y en a assez pour en offrir plusieurs paniers aux gardes du corps d’un visiteur de haut rang.
— C’est quoi, ta sauce ? murmura Helena, en y trempant son doigt.
— Au cumin.
— Elle n’a aucun goût.
Je jetai un coup d’œil à la recette – une recette que j’avais volée à Helena. Elle regarda par-dessus mon épaule et reconnut son écriture.
— Espèce de vaurien !… La recette dit un soupçon, mais je vais en rajouter. Tu les as écrasés ?
— As-tu déjà essayé d’écraser des graines de cumin ? Elles refusent de se laisser faire.
Elle en fit tomber une petite quantité du sac.
— Laisse-moi un peu d’espace. Je m’en occupe.
— Toi, tu es le personnel. C’est moi le chef – et c’est moi qui recevrai les reproches. (Je goûtai la sauce à mon tour.) Ça arrache un peu la gorge.
— À cause de la moutarde et des grains de poivre. Ajoute une cuillerée de miel, pendant que je la laisse épaissir.
— Cet homme est vraiment doué ! s’écria Titus. Je suis ravi d’être son invité.
— Oui, mon jeune frère sait tout faire, s’empressa de dire Junia.
Junia ! Celle de mes sœurs qui m’avait toujours traité de clown incompétent.
Je croisai le regard d’Helena. Ma sœur Junia était très fière de ses bonnes manières et de son bon goût. À chaque fête de famille, elle se tenait toute raide, avec l’air de ne pas être à sa place. J’étais content de constater que c’était Maïa, la fantaisiste, qu’Helena semblait préférer.
Il fallut nous y mettre à quatre pour arracher le turbot à sa baignoire. Je commençai par fixer des cuillères à chaque bout du filet. La bête nous parut assez ferme pour qu’il soit possible de la sortir en entier, afin de l’étaler ensuite sur le bouclier gaulois de mon
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