Victoria
Zanzibar, la Grande-Bretagne s’est entendue avec l’Allemagne pour coloniser l’Ouganda et le Kenya. La Compagnie britannique impériale de l’Afrique de l’Est a été créée. Néanmoins, les relations avec l’Allemagne demeurent tendues. Bismarck fait le jeu des Russes pour déstabiliser Alexandre I er de Bulgarie. Alexandre est le frère de Henry et Louis de Battenberg, gendres de Victoria. Renversé au profit de Ferdinand de Saxe-Cobourg, « Sandro » trouve un asile provisoire auprès de la reine d’Angleterre.
Toutefois, Victoria s’inquiète davantage pour la maladie de Fritz. En effet, le Kronprinz Frédéric-Guillaume est atteint d’une tumeur à la gorge. Devant les avis divergents de ses médecins allemands, il a fait appel à Morell Mackenzie, le pionnier britannique de la laryngologie. Mackenzie diagnostique bientôt un cancer du larynx et recommande une trachéotomie. La forte probabilité que Frédéric soit mortellement atteint revêt une incidence politique, car le prince s’oppose notoirement aux idées réactionnaires de son père, l’empereur Guillaume I er , et du chancelier Bismarck. Au même moment, Vicky est la cible de rumeurs qui l’accusent de se compromettre avec son chambellan, le comte von Seckendorf. À Berlin, les convictions libérales de Fritz sont attribuées à l’influence pernicieuse de la « colonie anglaise » dont Vicky serait la cheville ouvrière.
Décidément, les célébrations du jubilé ne se présentent pas sous un ciel tout à fait serein. Victoria s’y prépare en prenant quelques semaines de vacances à Aix-les-Bains. À la Grande Chartreuse, où le pape l’autorise exceptionnellement à entrer bien qu’elle soit une femme, elle rend visite à un jeune compatriote catholique dans sa cellule du cloître. Puis elle revient à Londres, pour y trouver quelque raison d’appréhender les cérémonies qui s’annoncent. Quand elle se rend à Mile-End Road, à Whitechapel, pour inaugurer le Palais du Peuple, sorte de centre culturel pour les classes laborieuses, avec bibliothèque, piscine, gymnase et jardin d’hiver, l’accueil du public s’avère pour le moins mitigé.
« L’effet de la réception généralement très enthousiaste a été gâché, pour moi, par les sifflets et les huées de deux ou trois individus peut-être, ici et là, tout au long du chemin, évidemment envoyés tout exprès et fréquemment les mêmes personnes, probablement des socialistes et les pires des Irlandais. »
Rien de semblable, toutefois, ne vient troubler la grande fête du 21 juin 1887. Au cours des semaines précédentes, les charpentiers, tapissiers et autres décorateurs ont transformé le centre de Londres, entre Buckingham Palace et Westminster Abbey. Des gradins échafaudés longent le parcours, les façades fleuries sont illuminées au gaz et à l’électricité. La foule est aussi nombreuse que pour les festivités du couronnement. Vers 11 heures, un silence surnaturel envahit la multitude, puis les trompettes de la procession sont submergées par d’incessantes vagues d’ovations. Le cortège s’étire lentement sur la longue ligne droite de Constitution Hill, tourne à Hyde Park Corner et s’allonge dans Piccadilly pour former l’autre branche d’un gigantesque V . Indolemment, il rejoint ensuite Waterloo Place et Trafalgar Square, pour enfin s’engager dans Whitehall.
Devant roulent les maharajahs et nababs de l’Inde, aux somptueux costumes ornés de pierres précieuses, accompagnés de leurs équipages colorés. Puis les princes d’Europe se mêlent aux personnalités coloniales. La reine de Hawaï côtoie le roi des Belges, les hôtes princiers de Perse et de Siam, le prince impérial d’Autriche, alternant avec des escortes de hussards et de Life Guards. Dans cette longue suite de carrosses et de groupes largement espacés, viennent ensuite les princes et princesses de la famille royale. Les rugissements de la foule, si furieux qu’ils rendent inaudibles les barrissements des buccins, effraient la monture du marquis de Lorne qui s’emballe et s’en va le désarçonner en quelque lieu moins brûlant. Dans le cortège des princes, où les gendres précèdent les fils, Fritz reçoit une ovation particulière. En uniforme blanc et casque d’argent, sa belle prestance, ses idées généreuses et ses souffrances bien connues font du futur empereur d’Allemagne un des héros du jour.
Dans la voiture ouverte qu’elle a
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