Vidocq - le Napoléon de la Police
paysan fauche son champ, avec méthode. Le monde ne s’arrête
pas de saigner. Paris, un instant évacué des troupes alliées, est de nouveau
occupé à la suite du retour de Napoléon, pendant les cent jours. À peine
l’empereur est-il reparti pour l’exil que Louis XVIII qui s’était enfui avec les bijoux de la couronne remonte sur son trône.
Pendant ce temps, les Anglais, Wellington en tête, déménagent le Louvre. Ils se
réservent les œuvres d’art enlevées par la France aux Pays-Bas, tandis que les
Autrichiens font main basse sur celles pillées par les Français en Italie. Les
tableaux et les statues quittent la capitale dans l’indifférence générale.
Paris ne parle que du procès du maréchal Ney qui est fusillé et de l’évasion du
comte de Lavalette, enfui de sa prison, la veille de son exécution. Sa femme
s’étant substituée à lui dans sa cellule, au cours de sa dernière visite.
Vidocq, lui, discute de l’existence
de l’âme avec le dernier meurtrier qu’il a arrêté, Prosper Guillaume. La veille
de son exécution à la Roquette, il a demandé à celui qui l’a traqué et mis en
prison de venir le voir. De quoi peut bien vouloir lui parler un tel
monstre ? Dès qu’il voit Vidocq, il lui demande son avis sur l’âme et
ricane :
« J’ai jamais vu d’âme quitter
le corps et pourtant, j’ai bien regardé. Un soir, c’était du côté d’Essonnes,
dans un château. J’me trompe de pièce et j’rentre dans la chambre du comte et
de la comtesse. Y dormaient bien. J’chourine l’homme et la femme presque du
même coup. Pas un qui s’réveille pour prévenir l’autre. Du sang y’en avait…
mais pas d’âme. Après ceux-là, j’en ai enfilé cinq autres de suite. Quand
j’travaille, j’aime pas qu’on m’dérange. Toujours pas d’âme. J’étais
tranquille.
— T’es peut être pas capable de
voir, soupire Vidocq.
— Tu crois ça. Un soir j’ai
défoncé la poitrine d’un type avec une hache, comme ça pour voir. Rien. Et
soudain. Ah ! la peur. J’entends voltiger. N’en v’la une que j’me dis.
J’reluque de tous les côtés. C’était pas une âme mais un papillon de nuit.
Jl’ai écrasé aussi sec. J’ai tué plein d’monde dans ma vie et d’âme j’en ai pas
vu la queue d’une. Jamais ! Alors voilà, j’voulais vous d’mandez, on sait
jamais. Demain quand on va m’raccourcir, j’voudrais qu’vous r’gardiez bien si
des fois j’en aurais une. »
Vidocq le lendemain ne devait pas
chercher à voir l’âme de Prosper Guillaume car il tend un piège à la
« Courtille ».
Depuis des mois, Henry enrageait de
ne pouvoir saisir un habile voleur qui mettait en coupe réglée les demeures du
faubourg Saint-Germain. Il venait de s’attaquer à une ambassade. Le nouveau
gouvernement, paniqué devant la colère des « alliés » exigeait son
arrestation. Il faut satisfaire au plus vite le nouveau pouvoir.
« On ne connaît que son surnom,
Antin et on ne sait pas à quoi il ressemble », annonce-t-il à son
« poulain ».
« C’est mince », conclut
Vidocq qui accepte le défi. Sachant que les voleurs aiment porter par abréviation
la dernière syllabe de leur nom, il recherche un nommé Constantin. Interrogeant
les castors du Palais-Royal, ses indicatrices favorites, il entend parler d’un
ancien maître d’armes, parieur enragé de Combats d’animaux, Constantin. Il
aurait assassiné sa maîtresse, il y a des années.
Un individu aussi dangereux ne peut
s’intéresser aux combats qui ont lieu dans les petites guinguettes de la
barrière du Maine où le jeu consiste à tuer un coq à coups de cailloux, quatre
pierres pour un sou, pas plus qu’à la planchette. Un rat cloué sur une planche
doit être achevé par des fléchettes : « Tentez votre adresse, la
cible bouge ! » Quant aux combats de coqs, ils n’excitent que les
dames. Il doit préférer les paris plus alléchants, ceux des combats d’animaux
interdits qui ont lieu à la Courtille où on fait s’affronter dans des luttes
mortelles des chiens, des loups, des sangliers, des taureaux et même des ours.
La police se garde bien de mettre
les pieds dans cette nouvelle « cour des miracles » qui s’étend entre
la capitale et ses fortifications de l’Est parisien. Le quartier de la
Courtille commence au boulevard du Temple et grimpe à travers Belleville
jusqu’à la pleine campagne de la porte des Lilas. Les bouges succèdent
Weitere Kostenlose Bücher