Voyage en Germanie
Cette mission était l’ultime tentative visant à me faire octroyer par l’empereur un butin correct, tout cela dans le but de pouvoir conquérir Helena.
Une ultime fois… J’imagine que tous les fous se disent la même chose.
— Ne t’inquiète pas, lança-t-elle d’un ton vif. Allez, viens, Marcus, allons fournir à Claudia Sacrata un nouveau sujet de scandale à serrer dans ses dossiers. Et si tu présentais ta fille de sénateur préférée à la chérie du général ?
38
Un manteau pourpre était pendu au portemanteau de l’entrée. Helena et moi échangeâmes un regard en tâchant de ne pas glousser. Claudia Sacrata vint nous accueillir. Ce soir, elle arborait une torsade de fleurs et une robe dans des tons pépin de melon et peau de raisin. Un usage appuyé du fard mercurique produisait cet effet d’œil brillant que, d’après les femmes, les hommes considèrent comme juvénile – nombre d’hommes sont de cet avis. Des flûtes de Pan floufloutaient derrière elle, et se turent net quand une porte se referma – claquée par quelqu’un d’autre. Claudia nous mena dans une autre pièce. Comme elle nous quittait à nouveau, Helena marmonna :
— On dirait bien qu’on a surpris un officier supérieur la cuirasse déboutonnée.
— Il va falloir faire de notre mieux. Je ne crois pas qu’on reste très longtemps.
— Où est-elle passée ? Elle a rebroussé chemin pour lui donner un roman grec à lire pendant qu’elle s’occupe de nous ?
— Il est peut-être en train de filer par la porte du jardin avec une seule grève au tibia… Je ne t’ai jamais raconté ce que dit mon ami Petronius : chaque fois qu’il fait une descente dans un lupanar, il découvre l’édile qui délivre les licences à ces établissements planqué dans un coffre à couvertures. Les grosses légumes sont incorrigibles.
— J’imagine, enchaîna Helena d’un ton mesuré, que la dureté de leur office nécessite une telle thérapie.
Elle avait jadis été mariée à un édile. J’espérais qu’il avait passé tout son temps libre dans les coffres à couvertures, et non avec elle.
Claudia Sacrata reparut.
— Je t’amène quelqu’un qui meurt d’envie de faire ta connaissance…
Je lui présentai mon aristocratique compagne. Quel que soit le rang des hommes que recevait Claudia, ce devait être la première, et sans doute la seule fois, qu’une fille de sénateur s’asseyait chez elle. Pour une occasion pareille, elle nous aurait permis d’interrompre même son général.
Helena s’était habillée avec soin, en gardant bien à l’esprit que sa robe blanche à petits rameaux fleuris, le fard qui ombrait ses joues, les franges de son étole, ses anneaux d’oreilles ornés de minuscules perles et le collier d’ambre que je lui avais offert allaient faire fureur dans la société ubienne pendant les dix années à venir.
— Quelle délicieuse jeune femme, Marcus Didius ! s’écria Claudia, tout en prenant des notes vestimentaires en son for intérieur.
Helena sourit avec grâce. Ce sourire allait également figurer dans des kyrielles de salons à Colonia.
— Je suis heureux d’avoir ton approbation.
Cette réplique désinvolte me valut un écrasement d’orteils sous la mignonne sandale à perles de la délicieuse jeune femme.
— Elle a un côté un peu sauvage, mais petit à petit j’arrive à la dompter… repris-je. Ne juge pas des usages en vogue à Rome d’après le comportement impétueux de celle-ci. Les filles de notre ville sont toutes de discrètes violettes qui doivent demander permission à leur mère pour tout.
— Tu dois en avoir de la patience ! glissa Claudia à Son Altesse, avec un regard éloquent dans ma direction.
— Nous faisons toutes nos erreurs, renchérit Helena.
Les deux femmes contemplèrent l’objet de leur dérision. Pour escorter Helena dans Colonia, je m’étais moi aussi vêtu avec soin : tunique, ceinture, sandales, doublures de sandales, manteau, sourire vainqueur – l’habituelle panoplie à la noix. Notre hôtesse se demandait visiblement comment une jeune femme aussi élégante qu’Helena en était arrivée à déchoir à ce point. N’importe qui pouvait se rendre compte qu’elle était éminemment raffinée – la candidate rêvée pour se retrouver gravée sur un portique – et cependant très avisée – donc d’autant plus susceptible de me décocher un coup de pied magistral qui m’expédie jusqu’à l’arc de triomphe le plus
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