Voyage en Germanie
nouveau quelques mots ; cette fois, elle regarda dans notre direction. Il lui avait sans doute posé une question. Elle réfléchit un instant, puis répondit brusquement.
— Merci, reprit très poliment Justinus, en latin cette fois, comme pour lui faire l’honneur de supposer qu’elle le comprendrait aussi. Dans ce cas, je vais d’abord saluer mes amis, je te prie…
Il ne lui demandait aucune permission : il énonçait son intention. Puis il se retourna vers la prophétesse pour ajouter en guise d’excuse bien élevée :
— Au fait, je m’appelle Camillus Justinus.
Son visage demeura impassible le temps qu’il traverse jusqu’à nous. Nous l’imitâmes. Il échangea une poignée de main avec chacun d’entre nous, d’un geste grave et plein de componction. Les yeux de toute l’assemblée des Bructères braqués sur lui, Justinus ne fit guère que prononcer nos noms, tandis que nous lui marmonnions autant d’informations que possible.
— Marcus Didius.
— Elle dit n’être qu’une femme vivant dans une tour en compagnie de ses pensées.
— Helvetius.
— Quelqu’un devrait se charger de lui donner à penser !
Helvetius ne put retenir cette saillie caractéristique.
— Ascanius.
— On va tous avoir droit à une sale mort, tribun.
— Probus.
— Qu’es-ce tu lui as dit à la prophétesse, tribun ?
— Sextus. Nous allons discuter de la situation au calme. Laissez-moi voir ce que je peux faire. Lentullus !
Quand il nous eut tous salués, son regard brillant croisa franchement le mien.
— Bon, vous m’avez laissé faire tout le boulot ici ! Il a même fallu que je sonne moi-même ce foutu buccin.
Il plaisantait pour masquer une certaine inquiétude : derrière la lueur amusée, son expression était triste. Je m’avançai subitement vers lui, ôtai l’amulette dont on m’avait fait cadeau à Vetera. Il vit de quoi il s’agissait, et baissa la tête pour que je la lui passe autour du cou.
— Si ça peut t’aider, un informateur m’a dit que Veleda avait sans doute grand besoin d’un brin de conversation… Ça, c’est pour Helena. Fais attention à toi !
— Marcus !
Il m’embrassa tel un frère, puis je pris le casque qu’il me tendit. Il s’éloigna de nous, bravement.
Il rejoignit Veleda. Si réservé que soit l’homme, il avait appris à relever les défis seul. Veleda l’attendait en femme qui se dit qu’elle risque de regretter quelque chose.
Je fis volte-face en direction du colporteur, le seul parmi nous que le tribun ait ouvertement ignoré.
— Qu’est-ce qu’il a dit à la prophétesse, Dubnus ?
Le colporteur jura, puis me répondit :
— Il a dit : « Tu dois être Veleda. Je t’apporte les hommages de mon empereur, ainsi qu’un message de paix… »
— Tu ne dis pas tout ! Il lui a fait une offre… c’était évident.
Sans prendre la peine de se demander ce que j’avais en tête, notre fidèle Helvetius s’avança pesamment derrière le colporteur et lui cravata les bras en une prise de lutteur plutôt convaincante.
Dubnus bafouilla, souffle coupé :
— Il a dit : « Je vois que vous détenez mes compagnons en otages. Je vous offre ma personne en échange. »
Je le savais. Justinus fonçait tête baissée dans le danger avec ce courage impulsif dont sa sœur faisait preuve lorsqu’elle décidait tout à coup que quelqu’un devait s’y mettre.
— Que lui a répondu Veleda ?
— « Viens dans ma tour ! »
Le colporteur disait vrai. Dès que Justinus la rejoignit, Veleda repartit à grands pas en direction de son édifice. Il la suivit. Nous regardâmes alors notre innocent tribun entrer seul avec elle dans la tour.
53
Je m’avançai d’un bon pas jusqu’au pied de la tour. Les voleurs de chèvres qui composaient la garde se tenaient alentour, l’air déconcerté, mais ils resserrèrent les rangs à mon approche. Je me postai devant la porte, la tête renversée en arrière, contemplant l’ancien ouvrage de maçonnerie romaine avec ses contreforts de brique rouge. Je ne pouvais rien faire. Je rejoignis mes compagnons. Le chien du tribun, lui, resta assis à l’entrée de la tour, guettant intensément le retour de son maître.
Nos gars, mi-effrayés mi-envieux, lançaient des paris sur les chances du tribun : — Elle va le croquer !
Je souhaitais me concentrer sur d’autres sujets de réflexion.
— Peut-être qu’elle le recrachera…
Comment allais-je expliquer cela à la sœur du jeune homme ? Elle me
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