Voyage en Germanie
connaissais la toile de fond. Avant de se rebeller, les Bataves avaient toujours entretenu des relations étroites avec Rome : leurs territoires étaient exempts de toute colonisation… donc d’impôts, en échange de quoi ils nous fournissaient des troupes de réserve. Tout le monde y trouvait son compte. Eux jouissaient de soldes et de conditions mirifiques – progrès gigantesque par rapport à ce qu’ils avaient acquis avec leur tradition celtique à la va-comme-je-te-pousse, consistant à piller les voisins quand leurs propres réserves de grains venaient à s’épuiser. De notre côté, nous apprîmes leurs techniques nautiques : les Bataves étaient d’excellents pilotes, rameurs et nageurs, connus pour leur capacité à franchir les cours d’eau avec tout leur paquetage, barbotant à côté de leurs montures.
Justinus entra directement dans le vif du sujet, énonçant ses informations sans tergiverser :
— Tu sais que Julius Civilis fait partie de la famille royale batave. Il a passé vingt ans dans les camps militaires romains, à commander des légions de réserve pour notre compte. Quand les troubles de ces derniers temps ont commencé, son frère Paulus a été exécuté comme agitateur par Fonteius Capito, alors gouverneur de la Germanie inférieure. Capito qui envoya Civilis soi-même, les fers aux pieds, à Néron.
— Étaient-ils vraiment des agitateurs, à ce moment-là ?
— Les éléments de preuves semblent indiquer qu’il s’agissait d’une accusation mensongère, déclara Justinus avec la sobriété qui le caractérisait. Fonteius Capito était un gouverneur éminemment controversé. Tu sais qu’il fut traduit en cour martiale puis exécuté par ses propres officiers ? On lui prêtait une réputation d’avidité, mais je ne peux pas te dire si elle était justifiée. Elle l’était peut-être, puisque Galba n’a pas jugé bon d’enquêter sur son exécution.
À moins que Galba eût été sénile et incompétent.
— Quoi qu’il en soit, Galba acquitta Civilis de l’accusation de trahison, mais ne resta empereur que huit mois, si bien que Civilis se retrouva à nouveau vulnérable par la suite.
— Comment ça ? demandai-je.
— Quand Vitellius s’empara du pouvoir, ses armées réclamèrent la mise à mort de plusieurs officiers en prétextant de leur loyauté à Galba.
Je me souvins de ce cruel épisode. De toute évidence, il s’agissait alors de régler quelques vieux différends. Les principales cibles étaient des centurions détestés, mais je savais que les soldats avaient également réclamé la tête du meneur batave. Sans céder, Vitellius avait confirmé le « pardon » de Galba, mais tout cela avait dû engendrer chez Civilis une profonde rancœur à l’égard de ses alliés romains supposés.
— À cette même époque, poursuivit Justinus, on infligea aux Bataves de très mauvais traitements.
— Tels que ?
— Eh bien ! par exemple, pendant le recrutement pour Vitellius, les agents impériaux enrôlaient les infirmes et les vieux pour pouvoir ensuite extorquer des pots-de-vin en échange de leur exemption. Quant aux jeunes garçons et filles, on les entraînait derrière les tentes pour leur faire subir des traitements désagréables.
Les enfants bataves sont souvent grands et beaux. Les tribus germaniques ont toutes un sens aigu de la famille : ce genre d’incident devait avoir envenimé les choses au plus haut point. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle le prétendant au trône qui survint ensuite, Vespasien, s’était senti fondé à appeler Civilis à la rescousse pour combattre Vitellius. Mais du fin fond de la Judée, Vespasien avait mal évalué la situation. Civilis commença par coopérer, conjointement avec une tribu portant le nom de Cannenefates. Ensemble, ils attaquèrent la flotte rhénane, capturant toutes les armes et les navires dont ils avaient besoin et coupant les Romains de leurs voies de ravitaillement. Vespasien fut alors proclamé empereur.
— Cela obligea Civilis à hisser ses véritables couleurs, expliqua Justinus. Il convoqua tous les chefs des tribus de Gaule et de Germanie à un rassemblement qui se tint dans un bois sacré, en pleine forêt, fit couler le vin à flots, puis bombarda ses invités de discours enflammés parlant de se libérer du joug romain et d’établir un Empire gaulois libre.
— Galvanisant !
— Oh ! tout à fait théâtral ! Civilis alla jusqu’à se teindre les cheveux et la
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