Will
et dis à Iwan et à Siarles de tout
préparer pour l’appareillage. » Comme Mérian hésitait, il ajouta :
« Vite ! Avant que quelque chose tourne mal. »
Bran, seul à présent, se tourna vers ses hôtes si
serviables, et, puisant dans ses quelques notions de latin, tenta de larguer
les dernières amarres et de leur dire adieu. « Vicis pro sententia Deus
volo est hic, vae. Gratias ago vos vobis hospitium quod ignarus. Caveo, ut tune
nos opportunus. »
Cela manquait peut-être de lustre pour un supérieur
ecclésiastique, mais c’était plus que le shérif de Glanville ou le comte Falkes
pouvaient comprendre, de toute façon. Les deux Français le dévisagèrent,
incapables d’appréhender ce qui venait de se passer.
« Son Éminence dit que le temps est venu pour nous de
vous dire adieu, expliqua le dénommé frère Alfonso en s’empressant de rejoindre
le père Dominique sur le dock. Sa Grâce vous remercie pour votre hospitalité –
une dette qu’il ne pourra jamais vous rembourser – et vous souhaite un
voyage de retour aussi plaisant et calme que possible. Soyez assurés qu’en
reconnaissance de votre aimable et attentif service, vos louanges retentiront
aux oreilles du pape. »
L’homme au chapeau rouge, qui s’avéra être le capitaine du
navire, se hâta d’aller accueillir l’émissaire papal. Il s’agenouilla pour
recevoir sa bénédiction, qui lui fut adroitement délivrée, puis se releva en
disant : « Mes excuses, Votre Grâce, mais si nous voulons prendre la
marée, il va falloir se dépêcher. Arrimer les chevaux, préparer le navire à
l’appareillage…
— Non, mais dites donc ! protesta le shérif,
toujours aussi peu disposé à voir les étrangers suspects filer si facilement.
— Un problème ? s’enquit le capitaine.
— Non, dit le comte. Occupez-vous de vos
affaires. » Puis, au shérif : « Venez, de Glanville, nous
n’avons plus rien à faire ici. »
Quand ses paroles lui eurent été traduites, le père
Dominique bénit ses hôtes normands puis, sur une dernière promesse de
mentionner au pape leurs bons soins et leurs attentions, les dégagea de leurs
devoirs. Il marcha jusqu’au navire et se rendit sous le pont. Un instant plus
tard, les deux frères lais vinrent aider le capitaine à conduire les chevaux
sur le bateau. Puis ils lui prêtèrent main-forte pour larguer les amarres au
moyen de grosses perches. Le vaisseau s’éloigna du dock et pénétra dans le fleuve,
où il dériva quelques instants avant de trouver le courant. Le père Dominique,
dame Ghisella et Will Écarlate retournèrent alors sur le pont pour adresser des
signes d’adieu aux Normands qui, sans pouvoir le jurer, crurent entendre des
rires portés par le vent comme le navire s’engageait au centre du canal pour se
laisser porter au loin par le lent reflux de la marée.
CHAPITRE 40
Rouen
Le roi William Rufus, trempé et le moral en berne sous la
pluie battante, avançait à la tête d’une compagnie de chevaliers, les meilleurs
et les plus fidèles. À la suite des rangs royaux marchaient soixante hommes
d’armes, qui progressaient d’un pas lourd dans la boue collante. L’eau coulait
à verse d’un ciel bas entièrement gris d’est en ouest, dégoulinant en ruisselets
réguliers des casques, boucliers et lames de lances, formant des flaques
profondes sur la route défoncée par le passage des chariots. Les fermes et les
villages dispersés autour de la ville ramassée de Rouen semblaient aussi
sombres et désolés que le roi et son maussade entourage.
Maudit soit mon stupide frère opiniâtre, pensa-t-il.
Ç’aurait dû être au duc Robert – et pas à lui, roi d’Angleterre – de
souffrir sur une selle et d’attraper la mort sous cette pluie. Maudits
soient cet imbécile et ses satanées machinations ! Pourquoi Robert ne
pouvait-il pas accepter son destin divinement fixé et se contenter de régir les
terres ancestrales de leur famille ? William se disait que si ç’avait été
son propre sort, il en aurait profité pour en faire quelque chose, plutôt que
de gaspiller sa fortune à fomenter des rébellions et à attiser les ambitions
voraces des inépuisables réserves de Français mécontents.
Ces pensées jetèrent le roi déjà irrité dans une rage
mijotante. Et quand il considéra le temps et l’argent gaspillés à garder son
idiot de frère sous contrôle, son sang bleu d’aristocrate commença à bouillir.
William arriva donc
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