Will
Je lui enverrai un équipage pour qu’elle voyage plus
confortablement.
— Ma dame, répondit le tout nouveau roi dans
l’impossibilité de contredire la femme de son seigneur, tout le plaisir sera
pour moi. Rendez-vous à la Saint-Michel. »
Plus tard, comme la voiture gravissait la première des
innombrables collines qui finiraient par leur cacher le caer, dame Agnès
dit : « Le roi Garran et notre Sybil, donc ? Vous ne m’en aviez
pas parlé.
— Ah, hum…» Le baron hésita, ne sachant trop comment
réagir maintenant que son plan impromptu avait été découvert. « J’avais l’intention
de vous en parler, mais ah, eh bien, l’idée m’est venue il y a un jour ou deux
et il n’y avait pas de temps à…
— Ça me plaît », lui dit-elle pour couper court à
son bégaiement.
Il la dévisagea, comme incapable de croire à ses paroles.
« Vous approuveriez une telle union ? »
Bernard était stupéfait par ce changement dans l’humeur ordinairement
renfrognée de sa femme.
« Ce serait un beau mariage, affirma-t-elle. Et pour
tous les deux, je pense. Oui, je l’approuverais volontiers. J’en parlerai à Sybil
à notre retour. De votre côté, faites en sorte d’obtenir la promesse de Garran.
— Ce sera fait, dit le baron, qui fixait toujours sa
femme avec incrédulité. Vous sentez-vous bien, mon amour ?
— On ne peut mieux. » Elle resta silencieuse un
moment, songeuse, puis annonça : « Je crois qu’un mariage à Noël
serait une chose magnifique. Ça me donnera le temps de faire les préparatifs
nécessaires. »
Abasourdi par l’extraordinaire transformation de la femme
qu’il avait connue toutes ces années, le baron Neufmarché se contenta de la
regarder avec admiration.
CHAPITRE 45
Nóin et moi avons passé le reste de l’été à profiter l’un de
l’autre, et à parler, parler, parler sans cesse. Comme deux merles posés sur
une clôture, nous saturions l’air de nos bavardages du matin au soir. Elle me
racontait tous les commérages de la forêt – tous les faits et gestes
petits et grands qui emplissaient les journées que nous passions à l’écart des
autres. Un jour, je lui ai parlé de ma captivité, du temps que j’avais passé avec
Odo tandis qu’il gribouillait mes radotages. « J’aimerais bien lire ça,
m’a dit Nóin avec un sourire. Rien que ça vaudrait la peine d’apprendre à lire.
— Odo m’a dit que ce n’était pas si difficile, mais les
écrits n’intéressent que les avocats ou les prêtres, pas des gens simples comme
toi et moi.
— Ça me ferait quand même plaisir. »
Comme les jours passaient, je me suis mis en tête de tenir
ma promesse de construire une nouvelle maison pour ma femme et ma fille. Après
avoir trouvé un bel emplacement sur une petite éminence à l’extrémité de Cél
Craidd, j’ai délimité des dimensions avec des bâtons. Ensuite, je suis allé
chez notre seigneur Bran lui demander la permission de dégager la terre et de
couper quelques branches de gros chêne pour les poutres du toit, les linteaux
et les montants.
« Pourquoi construire une maison ? » m’a-t-il
demandé en se tenant la tête d’une main, comme s’il ne parvenait pas à
comprendre. Avant que je puisse lui faire remarquer que je l’avais promis à ma
jeune mariée et que sa propre petite hutte était un peu exiguë pour trois ou
plus, il a ajouté : « Nous serons partis avant la Saint-Michel.
— Je sais, mais j’ai promis à Nóin…
— Viens plutôt chasser avec nous. Tu nous manques sur
les pistes. »
Mes doigts cassés guérissaient lentement, mais comme mon
utilité avec un arc restait limitée, je servais principalement à battre les
buissons pour le gibier. « Ne t’inquiète pas, m’avait dit Siarles après ma
première sortie. Tu tireras à nouveau comme un champion en un rien de temps.
Laisse ces doigts se reposer pendant que tu le peux. »
En cela, il était un prophète, pas d’erreur. Je ne le savais
pas à ce moment-là, mais j’aurais l’occasion de me souvenir de ses paroles par
la suite.
Ainsi, l’été s’est lentement écoulé, et un automne doré a
pris sa place. J’ai commencé à compter les jours nous séparant de la
Saint-Michel, la date de notre départ que nous appelions le jour du Jugement.
Bran et Angharad ont tenu un conseil restreint, décidant que nous partirions
avec autant de Grellons que possible, en ne laissant derrière nous que ceux qui
ne pouvaient
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