Will
exil de l’Elfael. Peu importe qu’il soit un
hors-la-loi recherché par chaque Normand sur tout le territoire, peu importe
qu’il ait moins dans sa bourse qu’un joueur de cornemuse itinérant, peu importe
qu’un gars puisse arpenter son royaume de long en large en chantant « Hey-Nonny-Nonny »
et en voir le bout avant que la chanson ne soit finie. Peu importe tout cela,
ou que le fait de le suivre signifiait que je prenais ma vie en main en
rejoignant une bande de hors-la-loi. Je savais dans mon cœur que ce que je
faisais était juste, ne fût-ce que pour agacer ces Normands brutaux et
dominateurs et toutes leurs manières barbares maladroites.
Oh, mais c’était plus que cela. Je sentais jusque dans mon
âme que ce que je faisais était juste. J’avais l’impression, alors même que je
répétais les paroles qui allaient lier ma vie et mon destin aux siens, que
j’avais enfin trouvé un foyer. Et quand il a touché mon épaule avec son épée et
m’a fait me relever, j’ai senti une larme couler sur ma joue. Même si je ne
l’avais jamais vu auparavant, pas plus que ce village forestier, et ne savais
rien des gens réunis autour de moi, j’avais l’impression d’être accueilli par
ma propre tribu, ma famille. Et rien de ce qui est arrivé depuis lors, dans
toutes nos petites aventures, ne m’a fait changer d’avis.
La pluie a commencé à tomber plus fort, et nous sommes tous
revenus au village.
« Ton habileté est digne d’éloges, William, a dit Bran
comme nous marchions ensemble à l’arrière.
— Presque autant que la tienne, est intervenue la dame
en se portant à sa hauteur. Admets-le, Bran, ce William est aussi bon archer
que toi.
— Juste Will, s’il vous plaît. William Rufus a
déshonoré mon prénom à mes yeux.
— Rufus ! » Bran a éclaté de rire. « Je
n’avais jamais entendu personne l’appeler comme ça.
— C’est assez courant en Angleterre », ai-je
répondu. Derrière son dos, on avait coutume d’appeler le deuxième fils de Willy
le Conquérant – ce débauché de William, à présent notre roi – Rufus,
à cause de sa torche flamboyante de cheveux roux et de son sang chaud comme la
braise. Son incapable de frère, le duc Robert, on l’appelle Curthose [2] * à cause de son penchant pour les
tuniques courtes.
Le fait de penser à ces deux bons à rien de nobles m’a
rappelé le triste sort du thane Aelred qui, à l’instar de tous les
hommes d’honneur tels que lui, avait rallié Robert, l’héritier légitime du
trône. Hélas, Robby Curthose s’était révélé aussi peu fiable qu’une girouette,
suivant toujours le sens du vent. Ce pauvre imbécile n’arrivait jamais à
prendre la moindre décision et ne cessait de changer de cap, proprement
incapable d’en garder un. C’était un moineau frivole, qui s’imaginait être un
aigle doré. Le problème, c’est qu’il avait conduit maints honnêtes gens à leur
perte.
Oui, c’était la seule chose pour laquelle il était doué.
Bien sûr, William le Rouge s’accrochait au trône qu’il avait
volé à son frère, et s’était servi de la confusion qui avait entouré la
succession – une confusion qu’il avait lui-même provoquée, soit dit en
passant – pour renforcer sa mainmise. Après s’être emparé du Trésor royal,
il s’était fait couronner souverain, s’était assis sur le trône et avait
décrété que ce qui n’était en vérité guère plus qu’un désaccord familial était
en fait une rébellion, et tous ceux qui avaient soutenu son triste frère Robert
avaient été présentés comme de dangereux traîtres. Des terres avaient été
saisies, des vies perdues. D’honnêtes gens avaient été bannis et leurs domaines
confisqués par la couronne. Seule une petite poignée d’ aristos aux mains
sales mais favorisés par la fortune s’en était sortie.
Je me suis tourné vers la dame. « En parlant de noms,
maintenant que je vous ai donné le mien…
— Voici lady Mérian, a dit Bran. Elle est notre…» Il a
hésité.
« Otage », s’est-elle empressée d’ajouter. Vu le
mépris avec lequel elle avait articulé ce mot, c’était manifestement un sujet
qu’il valait mieux éviter.
« Invitée, a corrigé Bran d’un ton dégagé. Nous allons
devoir subir le plaisir de sa compagnie un petit moment encore, semble-t-il.
— Demande une rançon, l’a-t-elle brocardé, ou bien
relâche-moi, et tes soucis prendront fin, mon seigneur. »
Il
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