Will
des chevaliers –, qui paraissaient plus larges encore avec
leur pourpoint de cuir matelassé et les longues capes d’hiver qui recouvraient
leur cotte de mailles. Casqués et gantés, leurs boucliers dans le dos et leurs
lances glissées dans la selle ; leurs épées rengainées.
Ils sont passés en silence devant moi, puis ont disparu.
J’ai compté dans ma tête le temps que mettraient leurs acolytes pour arriver.
Mais personne n’est venu.
J’ai attendu.
Peu après, les deux premiers sont revenus, repartant en hâte
par où ils étaient arrivés. Quand ils ont atteint l’endroit juste au-dessous de
mon poste d’observation, un des cavaliers s’est arrêté et a envoyé l’autre plus
loin sur la route avant de s’attarder là.
Des éclaireurs, donc. Prudents, pour le moins, et bien en
droit de l’être.
Le soldat en dessous de moi était si proche que je pouvais
sentir l’odeur de crin humide de sa monture, voir les narines de l’animal
exhaler de la fumée, de même que sa croupe chaude détrempée. Tête baissée, je
faisais le mort, comme l’aurait fait un chasseur à l’affût d’un cerf. Au bout
d’un certain temps, j’ai de nouveau entendu le cliquetis d’une sellerie de cheval,
et le deuxième cavalier a reparu, cette fois accompagné de huit autres hommes.
Tous ont rejoint le premier chevalier, qui leur a ordonné de prendre position
de chaque côté de la route.
Eh bien, ceux-là n’étaient pas des imbéciles suffisants. Ils
avaient reconnu la cuvette comme potentiellement dangereuse, et faisaient leur
possible pour réduire ce danger au minimum. Alors que le dernier soldat se
mettait en place, le premier chariot a fait son apparition. Haut sur pattes,
comme ceux qu’on utilise pour transporter le foin et le grain, il était tiré
par un double attelage de bœufs, ses grandes roues profondément enfoncées dans
les ornières couvertes de neige de la Route du Roi. Et malgré son berceau bâché
pour protéger sa cargaison de la neige, à la manière dont les animaux peinaient
contre leur joug, même un aveugle aurait pu voir que la charge était sacrément
lourde. Quelques instants après son passage, un second a fait son apparition.
Les bœufs progressaient péniblement le long du chemin, leur haleine chaude
formant des nuages dans l’air frais tandis que la neige se déposait sur leur
large dos et leur tête flegmatique, entre leurs cornes largement espacées.
Puis plus rien.
Les chariots ont lourdement poursuivi leur route entre les
deux rangées de chevaliers, et la légère odeur de fumée est revenue me
chatouiller le nez – et je n’étais plus seul à la sentir cette fois, aucun
doute. Les chevaux des soldats ont commencé à montrer des signes de nervosité.
Ils rejetaient leur belle grosse tête en arrière et se mettaient à pousser des
hennissements, ravageant la neige avec des sabots de la taille de bols de
saignée.
Les soldats n’ont pas tardé à remarquer l’agitation de leurs
montures ; ils regardaient de toutes parts, mais rien n’avait changé dans
la forêt alentour. Aucun danger ne les menaçait.
Quand le premier chariot a atteint l’extrémité du corridor,
j’ai perçu un scintillement jaune parmi les arbres. Rien qu’une vision
fugitive, aussitôt apparue, aussitôt repartie. Mais immédiatement a éclaté une
plainte fulgurante, stridente, pareille au cri d’un aigle s’abattant sur une
proie.
Les poils de mes bras et de mon cou se sont aussitôt
dressés. Au même instant, le cheval d’un des éclaireurs s’est mis à hennir et a
déboîté. Saisi de terreur, l’animal s’est cabré et a plongé, ses jambes battant
l’air dans la foulée. Alors que son cavalier démonté essayait tant bien que mal
de retrouver le contrôle de sa monture, l’animal s’est redressé, pour se
retourner de plus belle sur le flanc.
Les autres chevaliers regardaient le spectacle, mais ne
faisaient nullement mine d’aller aider leur camarade. Ils n’avaient pas bougé
quand un nouveau hurlement funèbre a retenti. Un autre cheval s’est
cabré – cette fois dans l’autre rangée. Tout comme son congénère, il s’est
mis à bondir en tous sens, prêt à s’emballer, mais son cavalier l’a rapidement
maîtrisé.
Tandis que la pauvre bête tournoyait en hurlant, j’ai
remarqué ce qu’aucun des soldats n’avait encore vu : plantée bas dans le
flanc de l’animal derrière la selle, il y avait l’extrémité empennée d’une
flèche
Weitere Kostenlose Bücher