1914 - Une guerre par accident
leur donner un
avantage substantiel en cas de conflit.
L’avant-veille de son entrevue avec l’ambassadeur autrichien
Szögyény, le Kaiser était tombé sur un rapport diplomatique daté du
30 juin. L’ambassadeur allemand à Vienne, Tschirschky, y expliquait qu’il
faisait de son mieux pour dissuader les Autrichiens de toute action précipitée
envers la Serbie. Guillaume s’en était fortement irrité. En marge du rapport,
il avait annoté rageusement : « Qui l’y a autorisé ? Cela ne le
regarde pas… Tschirschky doit cesser avec ces bêtises ! Il faut balayer
les Serbes et même bientôt ! Maintenant ou jamais [34] ! »
Tschirschky n’était pourtant pas le premier venu. Dans le
passé, il avait occupé les fonctions de secrétaire d’État aux Affaires
étrangères de l’Empire. Il était l’un des prédécesseurs de Jagow. Mais
Guillaume n’en avait cure. Ce 5 juillet, il fit assaut d’aménité auprès du
comte Szögyény :
— Tout ceci me révulse mais reste l’affaire de Sa
Majesté l’empereur François-Joseph. C’est à lui de décider, dans son éminente
sagesse, ce qui lui semble bon pour l’Autriche.
— Dois-je comprendre que Votre Majesté ne s’opposerait
pas à une juste réaction de mon gouvernement envers les criminels serbes ?
— L’Allemagne, monsieur l’ambassadeur, n’a aucune
intention de s’immiscer dans les affaires autrichiennes. Si vous estimez que
l’emploi de la force est inévitable avec la Serbie, alors allez-y. Tirez donc
parti des circonstances actuelles qui vous sont si favorables [35] .
Ladislas Szögyény se dit que l’Allemagne, par la bouche même
du Kaiser, était en train de délivrer un « chèque en blanc » à son
pays, l’Autriche. Il en fut le premier étonné, gardant encore en mémoire la
rudesse des pressions allemandes pour retenir Vienne, au moment des guerres
balkaniques de 1912 et de 1913.
À la différence d’un François-Joseph, toutefois,
Guillaume II n’était pas seul à décider de tout. Si son chancelier et son
gouvernement, de même d’ailleurs que le Reichstag, n’étaient pas vraiment une
gêne pour lui, il en allait tout autrement de son état-major militaire dont le
poids était grandissant. Il lui fallait également compter avec ces puissants
lobbies que représentaient les sociétés de géographie ou les milieux
d’affaires.
Or, à Berlin, en ce début de juillet, c’était à peu près le
vide politique. Le gouvernement allemand avait déjà pris ses quartiers d’été.
Le ministre des Affaires étrangères, Gottlieb von Jagow, se trouvait en
voyage de noces à Lucerne. Le chef d’état-major des armées prenait
tranquillement les eaux à Carlsbad et n’escomptait pas en revenir avant trois
semaines. Il en allait de même pour l’amiral von Tirpitz qui se reposait à
Tarasp.
On parvint tout de même à remettre la main sur le chancelier
qu’on fit revenir d’urgence à Berlin. Personnalité effacée, Theobald von Bethmann-Hollweg
était la tristesse incarnée. Certains y voyaient la marque d’une intelligence
sceptique, d’autres celle d’un pessimisme fataliste. Peut-être était-ce plus
simplement la conscience douloureuse qu’avait ce juriste émérite d’être dénué
d’autorité et de charisme. Une fois de plus, Bismarck était dans le vrai :
la Prusse savait former des conseillers intimes et d’excellents préfets mais
pas des hommes d’État.
On disait Bethmann-Hollweg lent d’esprit. La vérité était
sans doute ailleurs. Il était surtout dépourvu de la moindre parcelle
d’imagination ou de fantaisie. À la rigueur, il pouvait faire illusion en temps
de paix. En période de crise, c’était une tout autre affaire.
En cet après-midi du 5 juillet, à Potsdam, le
chancelier s’entretint en tête à tête avec le Kaiser. Dans le bureau impérial
du palais de Marbre qui ouvrait sur les jardins plongeant en cascade jusqu’aux rives
du Heiligersee, la discussion fut à sens unique. Le chef du gouvernement
partageait en gros l’opinion de son souverain. La force de l’habitude, sans
doute. Le résultat également du travail de préparation de son conseiller
diplomatique, le très influent Kurt Riezler, dont les opinions nationalistes et
pangermanistes étaient notoires.
Le Kaiser et son chancelier poursuivirent la discussion dans
le parc de Sans-Souci, en présence du sous-secrétaire d’État aux Affaires
étrangères, Alfred Zimmermann :
— La
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