1940-De l'abîme a l'espérance
commandement sont une poussière. Je crains que l’enseignement de la Pologne pourtant si clair n’ait été récusé de parti pris. On ne veut pas que ce qui a été réussi là-bas soit exécutable ici. Croyez-moi, tout reste à faire chez nous. Si nous ne réagissons pas à temps, nous perdrons misérablement cette guerre. Nous la perdrons par notre faute. Si vous êtes en mesure d’agir de concert avec Paul Reynaud, faites-le, je vous en conjure ! »
De Gaulle ne renonce pas à convaincre.
Le 21 janvier 1940, il adresse à quatre-vingts personnalités politiques ou militaires un mémorandum intitulé L’Avènement de la force mécanique. Il y répète que le char – le « moteur combattant » – est l’arme décisive de cette guerre.
« Les chars, écrit-il, employés en masse comme il se doit, seraient capables de surmonter nos défenses actives ou passives… Combien de guerres furent, à leurs débuts, marquées par une surprise et une erreur d’appréciation, de prévision. Ici, c’est l’inertie qui est le fait nouveau. Mais c’est un faux-semblant. Les moteurs combattants peuvent rompre toutes les lignes de fortification. »
Il conclut :
« Ne nous y trompons pas, le conflit qui est commencé pourrait bien être le plus étendu, le plus complexe, le plus violent de tous ceux qui ravagèrent la terre. »
Aucune réaction officielle à son mémorandum.
De Gaulle n’est qu’un colonel qui n’a pas encore cinquante ans. Certes Reynaud et Blum approuvent le texte, mais Daladier, président du Conseil et ministre de la Guerre, n’a pas daigné lire le mémorandum.
Alors, il faut poursuivre l’entraînement des hommes et des « machines ». Il faut attendre que l’événement vienne bousculer toutes les lignes et espérer un sursaut salvateur.
À Londres, Churchill s’exprime avec la même lucidité et une détermination équivalente.
« Nous avons essayé encore et encore d’éviter cette guerre, dit-il, et pour l’amour de la paix, nous nous sommes résignés à beaucoup de choses qui n’auraient pas dû arriver. Mais maintenant, nous sommes en guerre et nous ferons la guerre, et nous continuerons à faire la guerre et jusqu’à ce que l’autre camp en ait eu assez ! »
Et le Premier lord de l’Amirauté prophétise devant le micro de la BBC :
« La tempête va faire rage, elle va mugir, toujours plus fort, toujours plus violemment. Elle va s’étendre au sud, elle va s’étendre au nord. Aucune fin rapide n’est possible sinon par une action commune. »
La voix se fait plus grave, le ton plus dur :
« Vous pouvez être absolument assurés que, de deux choses l’une, soit tout ce que la Grande-Bretagne et la France représentent dans le monde moderne disparaîtra, soit Hitler, le régime nazi et la menace allemande ou prussienne périodique seront brisés ou détruits. Voilà où nous en sommes et tout le monde ferait bien de prendre son parti de cette réalité concrète et sombre. »
5 .
Chaque jour de ces premiers mois de 1940, de février à avril, d’un hiver implacable à un printemps étincelant et souverain, confirme les intuitions et les analyses du colonel Charles de Gaulle et de sir Winston Churchill, Premier lord de l’Amirauté.
Hitler, comme un fauve qui, les yeux mi-clos, guette sa proie, continue de jouer avec l’esprit de ces millions d’hommes mobilisés, arrachés à leur vie que ronge l’inaction et que désoriente la propagande de Radio Stuttgart. Un journaliste français à la voix nasillarde – un certain Ferdonnet – connaît l’emplacement des unités françaises aussi bien – et mieux – que les officiers dont il cite les noms.
La rumeur se répand qu’une « cinquième colonne » désorganise, paralyse les armées alliées, qu’elle a partout des complices qui se dévoileront au moment de l’offensive, qui viendra sans doute avec le beau temps.
Mais que faire d’ici là ? Et pourquoi faudrait-il que cette guerre ait lieu ?
De Gaulle le dit et le répète.
« L’ennemi attendra, suivant moi, que l’actuelle stagnation énerve et mécontente l’armée et le peuple français. Il attaquera seulement quand cette passivité prolongée et l’effort de sa propre propagande auront entraîné chez nous un fléchissement moral. »
De Gaulle s’inquiète d’autant plus qu’il sait, par Paul Reynaud, que les renseignements confirment la préparation d’une grande offensive
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