1940-De l'abîme a l'espérance
dressent, en plus de quelques usines, d’anciens baraquements d’une unité de cavalerie autrichienne.
Les travaux commencent aussitôt.
À Londres, à Paris, on ignore cette réalité « apocalyptique ».
On est sous le coup de la signature de la paix entre la Finlande et l’URSS.
On s’accroche à l’idée qu’il faut intervenir en Norvège et au Danemark, en dépit du refus de ces deux pays neutres d’accueillir les « alliés ».
On craint que les Allemands ne prennent l’initiative.
La Royal Air Force repère des concentrations de navires allemands en Baltique. De diverses sources, on apprend que le 1 er mars Hitler a publié une directive ultrasecrète. « La situation, écrit-il, exige d’effectuer tous les préparatifs en vue de l’occupation du Danemark et de la Norvège. » Et il confirme que l’attaque débutera le 9 avril.
Mais le gouvernement français et ses généraux continuent de mettre sur pied des bombardements sur les puits de pétrole de la région de Bakou.
Et comme si ces divagations ne suffisaient pas, le gouvernement d’union nationale se fissure, l’opposition entre Édouard Daladier et Paul Reynaud mobilise toutes les énergies. Reynaud s’avance en candidat à la succession à la tête du gouvernement.
« Daladier a plus mauvais état d’esprit que jamais, confie Paul Reynaud. Gamelin est ravi de n’avoir pas à prendre de responsabilités. Jean Giraudoux – l’écrivain, chargé de l’information – n’y comprend rien et le moral du pays, celui des soldats surtout, est corrodé par la propagande nazie, sans qu’on oppose d’antidote à ce mal. Si cela doit continuer comme ça, nous nous réveillerons un matin en face d’une brutale initiative de Hitler qui aboutira avant que nous ne puissions tenter un semblant de résistance, il faudrait des chefs. »
Reynaud pense naturellement à lui. Sa maîtresse, la comtesse Hélène de Portes, intrigue, intervient dans les débats politiques, sape l’autorité de Daladier.
Celui-ci est défendu avec acharnement par la marquise de Crussol, « gracieuse et belle, blonde et jeune d’apparence ». Elle tient salon, elle domine Daladier, veuf, que cette jeune femme brillante fascine.
Quant à Reynaud, il ne peut contenir l’énergie et l’ambition de la comtesse Hélène de Portes. Il est deux fois plus âgé et elle le mène là où elle veut, occupant son bureau de ministre, donnant des ordres aux membres du cabinet.
Ainsi, alors que la tragédie menace, que la barbarie déferle déjà à l’est de l’Europe, c’est un vaudeville qui se joue à Paris, dans les palais gouvernementaux.
Daladier, sentant sa majorité parlementaire se déliter, demande, le 20 mars, un vote de confiance.
Il ne recueille que 239 suffrages contre un, mais les abstentions s’élèvent à 300, dont tous les socialistes et même dix députés radicaux-socialistes – le parti dont Daladier est le chef !
Le 21 mars, Daladier démissionne et le président de la République, Albert Lebrun, charge Paul Reynaud de former le nouveau gouvernement.
Enfin ! s’écrie la comtesse Hélène de Portes.
Paul Reynaud est radieux. Ce petit homme vif, orateur brillant, attend depuis le mois de septembre son heure, persuadé qu’il sera le Clemenceau de cette Deuxième Guerre mondiale.
Il répète :
« Je vous garantis que je la gagnerai, la guerre, je la gagnerai. Vous m’entendez, je la gagnerai. »
Mais c’est un homme isolé que son caractère entier, son intelligence mobile et aussi sa fatuité et ses certitudes, rendent insupportable à beaucoup.
Reynaud, Clemenceau ? Il n’est qu’un « petit tigre », ricane-t-on.
À droite, on lui reproche d’avoir fait entrer dans son gouvernement deux socialistes et d’être soutenu par Léon Blum.
À l’état-major, on sait qu’il soutient les projets du colonel de Gaulle, qu’il veut se débarrasser du généralissime Gamelin.
Le chef de cabinet de Gamelin déclare, une semaine avant la désignation de Reynaud à la présidence du Conseil : « Mais c’est un fou, ce serait un désastre que de confier le pouvoir à cet homme-là. »
Daladier, amer et sévère, notera plus tard dans son journal :
« Quand Lebrun a décidé de faire appel à lui, je lui ai dit qu’il choisissait un homme qui nous conduirait au désastre… Il allait abandonner avec mépris ma tactique qui était de temporiser, d’attendre les livraisons des
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