1940-De l'abîme a l'espérance
comme « l’homme du destin », « jeune et énergique », dit-il, flegmatique, d’une attitude paisible et impénétrable : « voilà le connétable de France ».
Churchill consulte les membres du War Cabinet qui acceptent que de Gaulle puisse s’exprimer sur les antennes de la BBC.
C’est le mardi 18 juin.
Les troupes allemandes s’enfoncent chaque heure plus profondément dans l’épaisseur française. Elles progressent vers Bordeaux que la Luftwaffe survole. Nantes va tomber, les Panzers roulent vers La Rochelle. À l’est, Mulhouse, Belfort, Lons-le-Saunier sont occupés.
Le général Rommel a lancé ses Panzers vers Cherbourg, où les Anglais débarquent leurs dernières troupes.
Les blindés allemands progressent si vite – 400 kilomètres en quelques heures, une distance jamais parcourue au cours d’opérations de guerre – que, raconte Rommel, « un groupe d’officiers britanniques qui revient en voiture d’un bain de mer sont arrêtés et faits prisonniers ».
Dans les villages et les villes traversés, « la foule composée de civils et de soldats est saisie. Elle regarde notre défilé rapide avec curiosité et sans la moindre attitude hostile ».
Rommel signale pourtant « qu’un civil armé d’un revolver court vers la voiture et le vise ». Des soldats français se précipitent et le ceinturent, quant à Rommel et à ses unités ils poursuivent leur route sans même se soucier d’arrêter l’individu.
« Très chère Lu, écrit Rommel.
« Je ne sais pas si je mets la bonne date, j’ai un peu perdu le fil des événements depuis ces derniers jours… La guerre est peu à peu devenue un tour de France éclair. Dans quelques jours, elle sera finie pour tout de bon. Les gens d’ici – Rennes – sont soulagés tout se passant si tranquillement. »
De Gaulle travaille au premier étage gauche d’un immeuble du 8, Seamore Grove, l’appartement de Jean Laurent, son directeur de cabinet, qui lui en a remis les clés le dimanche 16 juin à Bordeaux.
C’était il y a moins de deux jours et de Gaulle, qui a le sentiment d’être entré dans un autre univers, écrit le discours qu’il doit prononcer ce soir à la BBC.
Il donne les feuillets à Geoffroy de Courcel. Celui-ci les dicte, dans une autre pièce de l’appartement, à Élisabeth de Miribel, une amie employée à la mission économique française de Londres, dirigée par l’écrivain diplomate Paul Morand qui a déjà décidé de rentrer en France, de servir le pouvoir légitime du maréchal Pétain.
De Gaulle sait qu’il va connaître la solitude du combattant et que beaucoup – tout peut-être – va dépendre de ces mots qu’il trace de sa haute écriture. Ce n’est pas seulement son destin qui va se jouer, mais celui de la France.
Et c’est aussi du sort de la France que s’entretiennent à Munich, ce mardi 18 juin, Hitler et Mussolini.
Depuis huit jours, les troupes du Duce n’avancent pas, bloquées par la résistance des troupes françaises, cinq fois moins nombreuses, et voici que Hitler évoque déjà l’armistice avec Paris. Il repousse brutalement les demandes de Mussolini qui voudrait occuper la vallée du Rhône, Toulon, Marseille, la Corse, la Tunisie et même Djibouti.
Hitler veut paraître ménager la France afin d’éviter que la flotte française ne se réfugie en Angleterre, et que le gouvernement ne gagne l’Afrique du Nord.
« Il faut un gouvernement français en fonction sur le sol français », dit-il.
« Le Duce, écrit Ciano, le ministre des Affaires étrangères, et beau-fils de Mussolini, voit s’évanouir une fois de plus cet inaccessible rêve de sa vie : la gloire sur le champ de bataille.
« La guerre a été gagnée sans aucune participation active de l’Italie, et c’est Hitler qui aura le dernier mot. »
Ce mardi 18 juin, un peu avant 18 heures, de Gaulle, accompagné de Geoffroy de Courcel, entre dans l’immeuble de la BBC, à Oxford Circus.
Partout des sentinelles en armes, derrière de petites casemates et des guérites blindées. On craint une attaque des parachutistes allemands. Sur un palier, derrière une meurtrière, un fusil-mitrailleur prend l’escalier en enfilade.
Il va être 18 heures. De Gaulle s’assied dans le studio, pose ses feuillets devant lui. On lui demande un essai de voix : « La France », dit-il seulement.
Puis, d’une voix forte et sereine, de Gaulle commence à parler, ne
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