1940-De l'abîme a l'espérance
regardant pas ses feuillets, tant ce qu’il dit est écrit en lui depuis non des heures mais des jours, des semaines et même une décennie.
« Les chefs qui depuis de nombreuses années sont à la tête des armées françaises ont formé un gouvernement.
« Ce gouvernement alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.
« Certes nous avons été, nous sommes submergés, par la force mécanique terrestre et aérienne de l’ennemi…
« … Mais le dernier mot est-il dit, l’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non. »
Il hausse la voix. Les mots qu’il prononce, il sent qu’il les grave à jamais dans le grand récit de l’Histoire nationale.
Il sait de tout son être qu’il entre dans cette Histoire.
« Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause, et vous dis que rien n’est perdu pour la France… Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! »
Il évoque l’Empire, l’Angleterre, les États-Unis.
« Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale… Il y a dans l’univers tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis… »
Il invite les officiers, les soldats, les ingénieurs, les ouvriers français, avec ou sans arme, qui se trouvent sur le territoire britannique « ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi ».
Il relève le défi !
Il veut être « l’homme du destin ».
Tout ce qu’il a vécu et rêvé depuis l’enfance trouve ici, dans les mets qui vibrent, son accomplissement.
Il dit :
« Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ! »
« Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres. »
Cette voix, elle traverse les océans.
L’écrivain Georges Bernanos l’a entendue à Belo Horizonte, retransmise par la radio brésilienne. Sa femme sanglote, lui serre les poings et pleure.
Quelques dizaines de milliers de Français – sur quarante millions – l’ont écoutée, par hasard, et tous ceux-là ont découvert le nom de ce général inconnu, de Gaulle… comme la Gaule, comme la France.
Quelques journaux ont rendu compte, en une dizaine de lignes, du discours.
On l’a entendu à Bordeaux, et le gouvernement de Pétain donne à de Gaulle l’ordre de rentrer, le remet à la disposition du général commandant en chef, prépare l’annulation de sa promotion au grade de général de brigade à titre temporaire. Mesures dérisoires en ces temps de tragédie. Cécité et médiocrité de ceux qui les promeuvent.
C’est le mercredi 19 juin 1940.
Un lieutenant, Hettier de Boislambert, se présente à de Gaulle aux premières heures de la matinée.
Il n’a pas entendu l’appel du 18 juin, mais il a vu de Gaulle commander sur le front de la France. Il est le premier à se rallier.
Au même moment, la Radiodiffusion nationale française rapporte que, selon le ministère de l’Intérieur, le général de Gaulle a été rappelé en France. Ses déclarations doivent être considérées comme non avenues.
Mais au contraire, ces paroles font leur chemin alors même que, en France, la guerre continue.
Les cadets, élèves officiers de l’école militaire de Saumur, résistent en gants blancs aux Panzers et se font tuer dans les îles et sur les rives de la Loire.
Le cuirassé Jean Bart réussit à appareiller, à s’évader, bien que sans armes, de Saint-Nazaire.
De Gaulle reçoit Georges Boris, le collaborateur et ami de Léon Blum. Chargé d’accueillir les jeunes recrues, Boris hésite. Il est juif, a dirigé l’hebdomadaire La Lumière , et a été dénoncé par la droite nationaliste, donc, certains, peut-être, seront choqués par sa présence à ce poste.
« Monsieur Boris, dit de Gaulle, je ne connais que deux sortes d’hommes, ceux qui se couchent et ceux qui veulent se battre. Vous appartenez à la seconde, donc gardez la boutique. »
Puis il ajoute, ce mercredi 19 juin :
« Si le débarquement allemand en Angleterre est repoussé, et c’est possible, la situation sera d’abord stabilisée pour être ensuite renversée grâce aux ressources de l’arsenal américain… »
Il va parler, ce mercredi, à la BBC. Il dira qu’il s’exprime au nom de la France, que « tout Français qui porte encore
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