1940-De l'abîme a l'espérance
(Saint-John Perse).
On prépare le procès des « responsables » de l’entrée en guerre et la cour de Gannat, non loin de Vichy, condamne à mort des officiers « gaullistes », dont le général Catroux.
Ces mesures d’oppression, de vengeance politique, s’accompagnent d’une apologie par le maréchal Pétain de l’« idée nationale-socialiste ».
Il l’affirme dans un long article de la Revue des Deux Mondes, publié le dimanche 15 septembre.
« Nous avons d’autant moins de peine à accepter cette idée nationale-socialiste qu’elle fait partie de notre héritage classique ! »
Et le Maréchal poursuit :
« C’est ainsi que nous la trouvons telle qu’elle est chez le plus français de nos écrivains, chez le plus national de nos poètes, le bon La Fontaine » et… de citer la fable Le Laboureur et ses enfants.
On devrait rire, mais derrière la sénilité intellectuelle, on entend les propos violents d’un Marcel Déat qui fut député socialiste et valeureux combattant de 14-18, et de surcroît agrégé de philosophie, élève de l’École normale supérieure.
Patriote dévoyé, aveuglé par son ambition, Déat écrit :
« La France se couvrira s’il le faut de camps de concentration, et des pelotons d’exécution fonctionneront en permanence.
« L’enfantement d’un nouveau régime se fait aux forceps et dans la douleur. »
C’est ce prix que les idéologues sont prêts à faire payer aux Français pour faire entrer la France dans l’Europe nouvelle de Hitler.
Et avec quelle perspective ?
Déat le dit avec cynisme :
« La France doit devenir le verger et le Luna Park de l’hitlérisme. »
Qui pourrait, s’il aime la France, renoncer à se battre contre ces gens-là qui la trahissent et l’avilissent ?
De Gaulle dans sa cabine, en rade de Freetown, écrit à son épouse le samedi 28 septembre :
« Ma chère petite femme chérie,
« Comme tu l’as vu, l’affaire de Dakar n’a pas été un succès. Pour le moment, tous les plâtres me tombent sur la tête. Mais mes fidèles me restent fidèles et je garde bon espoir pour la suite.
« Je ne compte pas revenir à Londres avant quelque temps. Il faut patienter et être ferme.
« Combien j’ai pensé à toi, et pense toujours à toi et aux babies dans tous ces bombardements…
« Je considère que la bataille d’Angleterre est maintenant gagnée.
« Mais je m’attends à la descente en Afrique des Allemands, Italiens et Espagnols.
« C’est le plus grand drame de l’Histoire et ton pauvre mari y est jeté au premier plan avec toutes les férocités inévitables contre ceux qui tiennent la scène.
« Tenons bon.
« Aucune tempête ne dure indéfiniment. »
28 .
C’est le mardi 1 er octobre de l’an quarante.
Il a plu toute la journée sur Vichy, et l’averse frappe encore les baies vitrées du grand salon de l’hôtel du Parc, où se tient depuis 17 heures le Conseil des ministres présidé par le maréchal Pétain.
C’est le sort des Juifs qui ont la France pour patrie ou refuge qui est en question.
Depuis quelques jours, la haine antisémite a déferlé comme une vague énorme, longtemps retenue et qui tout à coup envahit l’horizon. Et l’on entend crier « Mort aux Juifs ».
À Paris, le cœur de la zone occupée, on peut lire dans l’hebdomadaire Au pilori : « Les Juifs doivent payer la guerre ou mourir. »
Xavier Vallat, ancien député, martèle que le Juif est inassimilable dans la communauté nationale.
« Il faut défendre l’organisme français du microbe qui le conduisait à une anémie mortelle », écrit-il.
L’hebdomadaire dresse la liste des « firmes juives » et demande au préfet de la Seine et au préfet de police d’exiger, dans un but de salubrité, que tous les propriétaires de magasins affichent de façon apparente sur leurs boutiques leur nom et leur prénom.
D’autres publications – La France au travail !, Le Cri du peuple , financés par les Allemands – répandent la même boue empoisonnée où se mêlent le vieil antijudaïsme qui est présent en France depuis le Moyen Âge, et le racisme nazi.
Les autorités d’occupation ont le vendredi 27 septembre promulgué une ordonnance obligeant les Juifs à se faire recenser, interdisant à ceux qui ont quitté la zone occupée d’y retourner.
Obligation est faite – comme le demandait Au pilori, qui avait ainsi préparé
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