1940-De l'abîme a l'espérance
vous !
« Au revoir. »
Le lundi 23 septembre, dans les brouillards de l’aube, alors qu’on ne distingue pas encore les contours de la rade de Dakar, deux vedettes chargées de parlementaires français se détachent du Westernland pour gagner la côte.
À bord de l’une d’elles, ce religieux qui a choisi de porter l’uniforme, le capitaine de frégate Thierry d’Argenlieu. Les Français de Dakar, ces « vichystes », refusent de laisser débarquer les « gaullistes ».
Et au moment où ces plénipotentiaires s’éloignent, leurs vedettes sont prises sous un feu violent. Thierry d’Argenlieu est blessé.
Deux avions chargés de Français Libres qui ont décollé de l’ Ark Royal sont pris pour cibles par les canons du Richelieu.
Le sang français a commencé de couler. Il n’y aura pas de ralliement.
Les pièces lourdes du Richelieu canonnent les navires anglais et français. Cunningham donne l’ordre de riposter.
Des navires des « vichystes » sont coulés. Le cuirassé anglais Resolution est torpillé.
Le mercredi 25 septembre, après deux jours de combat, Churchill télégraphie de Londres à 13 h 27 :
« Nous avons décidé que l’opération doit être abandonnée en dépit des conséquences fâcheuses. Les erreurs en présence de l’ennemi méritent l’indulgence. On ne peut tout prévoir. »
Ces mots du Premier Ministre ne calment pas la douleur.
« Dès le jeudi 26 septembre, vers 10 heures, au large donc, notre chef vint s’asseoir un instant dans ma cabine de blessé, écrit Thierry d’Argenlieu.
« Il souffrait à l’intime de l’échec aujourd’hui consommé. Il se taisait. Je réagis autant que faire se pouvait. Silence. Alors de ma couchette, à travers les cent rumeurs de notre navire en marche, je perçus telle une plainte : “Si vous saviez, commandant, comme je me sens seul.” »
Peut-être, à cet instant-là, pense-t-on, la mort peut seule faire oublier l’échec et sa souffrance.
Mais il y a l’ennemi et ce que l’on doit à ceux – tel le petit-fils du maréchal Foch – tombés ici, pour la France, tués ou blessés par des Français au patriotisme dévoyé.
La lutte n’en doit devenir que plus résolue.
Mais de Gaulle sait qu’il va porter les stigmates de cet échec devant Dakar.
À Londres, la presse multiplie les critiques, suggère à Churchill de remplacer ce de Gaulle par l’amiral Muselier ou le général Catroux. Elle accuse ces Free French d’être responsables, par leurs bavardages au moment du départ d’Angleterre, de ce fiasco.
Le News Chronicle écrit :
« Sur quelles bases le gouvernement a-t-il accepté les assurances d’un général de grande expérience militaire mais qui n’est pas un politique ?
« Nous pouvons répudier ce général de Gaulle avec le même cynisme dont son pays a fait preuve pour nous répudier en juin.
« Nous ne pouvons risquer la cause de la liberté pour une poignée d’hommes ! »
Aux États-Unis, la presse est plus sévère encore.
À Vichy, tous ceux qui ont choisi l’armistice et la collaboration se déchaînent.
On diffuse plusieurs fois le « Message à l’Empire français » lancé par Pétain.
« La France a perdu la guerre. Les trois cinquièmes de son territoire sont occupés, dit le Maréchal. Elle s’apprête à connaître un hiver pénible. Mais son unité doit rester intacte. Aucune tentative de quelque côté qu’elle vienne, de quelque idéal qu’elle se pare, ne saurait prévaloir contre elle.
« Le premier devoir est aujourd’hui d’obéir… »
Il faut se rebeller, se battre au contraire : les mots de soumission du maréchal Pétain fouettent de Gaulle.
Il va se rendre dans les territoires de l’Afrique-Équatoriale qui ont rejoint la France Libre.
Le combat lui paraît d’autant plus nécessaire que le gouvernement de Vichy rompt avec toutes les règles, agit dans l’arbitraire.
Le château de Chazeron a été loué aux environs de Vichy pour y interner les anciens ministres de la République : Reynaud, Daladier, Mandel, et le général Gamelin. Et quand on ne peut se saisir d’un ministre… on arrête son fils !
On déchoit de la nationalité française et on confisque les biens des personnalités qui ont exprimé leur hostilité, qui appartiennent à la franc-maçonnerie ou qui sont juives.
Dans la même charrette, on trouve Pierre Cot et les Rothschild, René Clair et Alexis Leger
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