Avec Eux...
parfois, je sentais venir le moment où câétait trop. Trop de gens, trop de décisions, trop de diplomatie⦠Je me suis toujours arrangée pour avoir un bureau avec une porte supplémentaire, une sortie de secours en quelque sorte. Quand les rendez-vous sâenchaînaient dâune manière effrayante, quâil était impensable et impossible de les faire tenir dans un agenda normal, hélico ou pas, il arrivait un moment où jâatteignais mon seuil de tolérance. Chaque personne qui entrait dans mon bureau était persuadée quâelle tenait le projet du siècle. Mais moi, jâavais déjà écouté la description argumentée de cent autres projets du siècle depuis le matin même ! Au cÅur de cette frénésie, de ce maelström, il arrive un moment où lâon nâimprime plus, et, effectivement, je nâimprimais plus ! Ãa nâétait pas une fatigue du corps comme on peut en éprouver quand on court le marathon de New York. Jâavais une fatigue psychologique, un épuisement artistique, jâavais juste envie dâécouter de la musique pour me calmer, et surtout jâavais envie dâaller faire un tourdehors, de redevenir anonyme et transparente dans la rue parisienne, donc jâavais prévu cette petite porte de sortie dans mon bureau. Comme un couloir dérobé dans le grand château de TF1, qui me permettait de mâenfuir en toute discrétionâ¦
Alors il mâarrivait, et on va sans doute appeler cela aussi un caprice de star, mais je lâassume totalement a posteriori , dâappeler Sabrina, mon assistante :
â Je suis partie !
â Mais quâest-ce que je vais faire, quâest-ce que je vais leur dire ? me répondait-elle avec affolement.
Au fil du temps, elle a dû puiser des trésors de gentillesse et de diplomatie pour excuser mes absences. Cela mâa valu parfois dâavoir la réputation dâune personne qui ne tient pas ses engagements⦠Peut-être que, à travers ces lignes, je rétablis un peu de vérité : je ne pouvais plus tout simplement recevoir tous ces gens. Je préférais mâéclipser. Petite lâcheté, certes, mais surtout nécessité de survieâ¦
Je lâencourageais à inventer ce quâelle voulait, à partager ce qui était possible avec mes collaborateurs les plus proches et à remettre le reste au lendemain, car je ne pouvais plus faire face. Mes interlocuteurs risquaient tout bonnement dâêtre confrontés à une loque humaine et je ne pouvais pas décemment me présenter comme ça. Une fois cette précaution prise, je descendais les onze étages par lâescalier quasi dérobé. Ãtrangement, jâai été installée au onzième étage à Montparnasse, et comme dans la tour de TF1, câétait mon chiffre et mon étage. Je dévalais les escaliers jusquâau sous-sol pour ne pas être vue. Ces escaliers que je connaissais par cÅur. Parfois même, je pleurais sur les marches. Je mâasseyais par terre, entre deux étages, dans cet univers de béton morne et silencieux, comme jâaurais pu tout aussi bien crier sous lemétro aérien, comme jâaurais voulu avoir une salle de boxe à proximité pour taper et cogner sur un punching-ball, pour me libérer, parce que je saturais.
Personne ne sâest rendu compte du volume de travail que lâon mâa confié, parce quâon savait que jâadorais cela. Peut-être ne me suis-je pas suffisamment entourée, câest ma faute, mais ceci nâest pas un livre pour faire mon mea culpa . Jâai néanmoins vécu lâimpensable en termes dâheures de travail et dâobligation de résultat à cette période, même si câétait dans la joie, la bonne humeur, avec en corollaire lâargent et les stars, et aussi lâexcitation, évidemment. Je nâai pas à me plaindre, je dis seulement que je nâétais quâune fille. Je nâétais pas Superwoman. Les paroles de Pierre Lescure, lorsque je travaillais à Canal Plus, résonnent encore en moi : « Dominique, ne reste jamais longtemps enfermée dans ton bureau, respire, regarde autour de toi dans la rue, va dans les marchés, fais des choses normales, parce que tu ne vas pas tenir. Attention, tu ne
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