Avec Eux...
tous sont en bureaux paysagés, jâai demandé un bureau fermé. Francis Bouygues mâa fait un cadeau extraordinaire en acceptant ma requête.
Jâavais un grand siège de président, tout noir, et jâétais dedans, toute petite, assise en tailleur dans mon « uniforme » : des leggings noirs, de jolies vestes souvent siglées Chanel, et des petites tennis blanches. Par la baie vitrée, je voyais tout Paris, encore plus spectaculaire quand la nuit tombe en findâaprès-midi et que Paris devient effectivement la Ville lumière. Il y avait une espèce de sensation de toute-puissance, peut-être, mais ce qui est sûr, câest quâil y avait un vrai décalage entre ma personnalité et ce rôle de « reine de la ruche » quâon mâavait donné à tenir.
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Lâalchimie et le métissage de pensées diverses, empreintes dâexpériences et de compétences personnelles, contribuent à lâeffervescence de la création. De ce travail dâéquipe naissent des concepts dont je confie la réalisation à des productions extérieures, que je suis jusquâau P.A.D., le « prêt à diffuser ». Lorsque nous sommes au stade de la diffusion, nous savons que nous avons gagné. Mais une autre épreuve nous attend : le verdict de lâAudimat, juge impartial. Nous patientons, lâhameçon au cÅur, chevillés aux parts de marché â autrement dit au nombre de personnes devant leur poste de télévision à une heure donnée, au moment où nous avons décidé de programmer lâémission à laquelle nous croyons tant ! Câest notre fiche de température. Chaque matin à 8 h 15, nous attendons le diagnostic. Nous produisons pour plaire aux autres, pour être regardés. Si nous y parvenons, alors nous sommes tout simplement heureuxâ¦
Heureux, oui, mais à quel prix ? Telle une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, lâAudimat règne sans partage. En tant que responsables de programmes, directeurs de chaînes, producteurs, nous avons une obligation de résultats. Impossible dây couper. Le marché publicitaire est roi.
En 2004, Patrick Le Lay, interviewé parmi dâautres chefs dâentreprise dans le livre Les Dirigeants face au changement , a donné clairement sa vision sur le sujet, ce qui lui a valu quelques critiques saignantes : « à la base, le métier de TF1, câest dâaider Coca-Cola à vendre son produit. [â¦] Or pourquâun message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : câest-à -dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, câest du temps de cerveau humain disponible. [â¦] Rien nâest plus difficile que dâobtenir cette disponibilité. Câest là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où lâinformation sâaccélère, se multiplie et se banalise [â¦]. Tout se joue chaque jour sur les chiffres dâaudience. Nous sommes le seul produit au monde où lâon âconnaîtâ ses clients à la seconde, après un délai de vingt-quatre heures. »
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Ainsi, dans un contexte fortement concurrentiel, régi par les recettes publicitaires, une pression sâexerçait quotidiennement sur moi, lourde, omniprésente, malsaine parfois. Cette exigence de résultats avait bien entendu des conséquences sur notre comportement avec ceux que nous recevions chaque jour. Sans compter lâobligation de gérer les nombreuses demandes des producteurs et des animateurs que nous avions mis en lumière. En tant que responsables de programmes dâune grande chaîne de télévision, nous nous retrouvions face à une concentration chimique explosive, un mélange de caprices dâartistes, de pouvoir et dâargent. Et moi, à lâépoque, je suis au centre de tout cela. Câest dire sâil me faut beaucoup de self-control, de psychologie et de diplomatie. La pression est parfois extrêmement destructrice. Il mâest souvent arrivé
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