Azincourt
avancer,
s’appuyant parfois sur son plus proche compagnon pour s’extirper de la boue. Il
tentait de marcher dans les sillons remplis d’eau, car c’est là que le sol
était le plus ferme, mais il y voyait à peine par les trous de sa visière
close. Et il n’osait la relever, car les flèches ne cessaient de claquer et
crépiter tout autour de lui. Il reçut en plein front un trait qui lui rejeta la
tête en arrière, et il serait tombé à la renverse si l’un de ses hommes ne
l’avait retenu. Une autre frappa son plastron, déchirant une bonne longueur de
son surcot et éraflant l’acier avec un bruit suraigu. Son armure résista aux
deux coups, mais d’autres furent moins chanceux. Régulièrement, au milieu de
l’averse métallique, s’élevait un cri ou un appel à l’aide. Lanferelle ne
voyait personne tomber, il entendait seulement les hurlements et sentait que
l’attaque perdait sa cohésion, car des hommes se massaient depuis main gauche,
où volaient la plupart des flèches, et resserraient la formation. Il fut
lui-même tellement poussé contre son compagnon qu’il eut le bras droit coincé.
Il tournait la tête de part et d’autre pour tenter de distinguer les alentours.
Les Anglais, eux, avaient leurs visières relevées, remarqua-t-il. N’étant pas
menacés par les flèches, ils pouvaient voir la bataille.
Il haletait sous son heaume. Il
s’estimait robuste, mais il était à bout de souffle à force de patauger dans
cette glu épaisse. La sueur ruisselait sur son visage. Il trébucha et s’affala
près du cadavre d’un homme d’armes. Deux de ses hommes le relevèrent, mais à
présent couvert de boue il tenta vainement d’essuyer sa visière dont quelques
trous étaient obstrués. Contente-toi d’avancer, se répéta-t-il. Plus
près, le massacre pourrait commencer et il avait confiance en ses capacités.
Peut-être n’était-il pas fait pour patauger dans la boue, mais c’était un tueur
et, dans un dernier effort, il essaya de se dégager de la cohue afin d’avoir
l’espace suffisant pour se servir de ses armes. Il tourna de nouveau la tête,
scrutant les alentours par les quelques trous encore libres et vit, droit
devant lui, la grande bannière aux armes royales de l’Angleterre impudemment
frappées du lys français. Celles-là étaient à lambel d’argent, chaque pendant
chargé de trois besants de gueules, brochant sur le tout, et il reconnut l’écu
d’Édouard, duc d’York. Il ferait un bon prisonnier, songea-t-il. La rançon pour
un duc royal ferait de lui un homme riche, et cette perspective donna une
nouvelle force à ses jambes épuisées. À présent, il grondait. Les lignes
anglaises étaient proches.
— Es-tu avec moi, Jean ?
cria-t-il à son écuyer.
— Oui ! s’écria celui-ci.
Lanferelle avait l’intention de
frapper de sa lance et, l’ennemi repoussé, d’abandonner cette arme encombrante
pour user de la masse d’armes qu’il portait à l’épaule. Et si elle se rompait,
il prendrait quelque arme de rechange parmi celles que portait son écuyer. Il
éprouva une brusque exaltation. Il avait survécu jusqu’ici, essuyé l’averse de
flèches, et allait porter sa lance à l’ennemi, quand soudain une pointe droite
se ficha dans l’un des trous de sa visière et déchira l’acier en entaillant son
nez et sa joue, manquant de peu son œil et projetant sa tête en arrière.
Brusquement, il pouvait voir par la
déchirure causée par la flèche, qu’il arracha d’une main. Il ne voyait guère,
mais il aperçut juste devant lui le duc d’York à quelques pas. Il serra sa
lance, respira un bon coup et poussa son cri de guerre. Il chargea péniblement,
hurlant à pleins poumons, dans un mélange de fureur contre cet ennemi impudent
et d’exaltation d’avoir survécu aux flèches. Il était arrivé au cœur de la
bataille.
Sir John Cornewaille était lui aussi
en proie à la fureur. Depuis le jour où l’armée avait débarqué en France, il
avait été l’un des chefs de l’avant-garde. Il avait mené la brève marche sur
Harfleur, combattu au premier rang lors de l’assaut de cette cité entêtée, puis
mené l’armée depuis la Seine jusqu’à ce bourbier en Picardie, et à présent un
parent du roi, le duc d’York, avait reçu le commandement de l’avant-garde. Et
ce pieux duc, selon sir John, n’était pas un chef de taille à inspirer les
hommes.
Pourtant, le duc commandait et sir
John, à quelques pas sur
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