Azincourt
serrés les uns contre les autres et ses clochers ceints d’une
muraille blanche semée de tours. Elle ressemblait à la cité représentée sur la
peinture de saint Crépin et saint Crépinien de la cathédrale de Soissons. À
présent, ce n’était plus qu’un amas de pierres et de boue noyé dans la fumée.
De longs pans de murs étaient encore debout et il y flottait encore les
bannières moqueuses représentant les armes des assiégés et des saints, mais
huit des tours s’étaient effondrées dans le fossé et une longue portion des
remparts s’était écroulée près de la porte de Leure. Les énormes projectiles
lancés par-dessus les murs par les catapultes fracassaient les maisons et
déclenchaient des incendies, si bien qu’un brouillard fuligineux planait en
permanence au-dessus. Un clocher s’était abattu dans une assourdissante
cacophonie de cloches, et les boulets continuaient de s’acharner sur la cité
déjà bien éprouvée.
Pourtant, les assiégés ripostaient.
Chaque matin, quand il menait les hommes dans les fosses des bombardes, Hook
voyait le labeur de la garnison. Ils élevaient une nouvelle muraille derrière
le rempart effondré et étayaient la barbacane avec du bois. Des hérauts anglais
en livrée colorée et brandissant leurs baguettes blanches allèrent à plusieurs
reprises proposer une reddition, mais l’ennemi refusa à chaque fois.
— Ils espèrent que leur roi
lèvera une armée pour leur porter secours, dit le père Christopher à Hook un
matin de septembre.
— Je croyais que le roi
français était fou ?
— Oh, mais il l’est ! Il
se croit fait de verre ! se moqua le père Christopher, qui venait dans les
tranchées chaque matin bénir les archers et les encourager de sa bonne humeur.
C’est vrai ! Il se croit de verre et craint de se briser s’il tombe. Il
mange aussi des tapis et se confie à la lune.
— Alors il ne mènera point une
armée ici, mon père, sourit Hook.
— Mais ce fou a des fils, Hook,
et tous assoiffés de sang, les misérables. Tous aimeraient réduire nos os en
poussière.
— Le tenteront-ils ?
— Dieu seul le sait, et Il ne
me parle point. Mais je sais qu’une armée se rassemble à Rouen.
— Est-ce loin ?
— Vois-tu cette route ?
Suis-la et prends à main droite quand elle atteint la colline, puis continue,
et après quinze lieues, tu trouveras un grand pont et une vaste cité. C’est
Rouen, Hook. Et une armée peut parcourir ces quinze lieues en trois jours.
— Qu’ils viennent. Nous les
occirons.
— Le roi Harold parla ainsi
juste avant Hastings, répondit aimablement le père Christopher.
— Avait-il des archers ?
— Seulement des hommes d’armes,
je crois.
— Eh bien, voilà, sourit Hook.
— Nous devrions nous être
emparés de cette cité, regretta le prêtre en se tournant vers Harfleur. Cela
prend bien trop de temps. (Il salua un homme qui passait et bâcla un signe de
croix.) Sais-tu qui était cet homme ?
— Non, mon père.
— Le fils de Geoffrey Chaucer,
dit fièrement le père Christopher.
— Qui donc ?
— N’as-tu point ouï parler de
Geoffrey Chaucer ? Le poète ?
— Oh, je pensais qu’il serait
quelqu’un d’utile. (Au même instant, un carreau se ficha dans la paroi de la
tranchée.) Cela, c’était Face de Chat, expliqua Hook. Lui, il est utile.
— Face de Chat ?
— Un gueux de la barbacane, mon
père. À face de chat. Je le vois qui lève son arbalète.
— Ne le peux-tu point
abattre ?
— Il est vingt pas trop loin,
mon père, répondit Hook en agitant le bras vers les murailles. Je lui indique
toujours que je suis encore en vie.
— Au fait, sais-tu que Robert
Pole est malade ?
— Tout comme Fletch et l’épouse
de Dick Godewyne.
— Alice aussi ?
— Affreusement, m’a-t-on dit.
— Je ferais bien de prier, dit
le père Christopher. La maladie ne peut nous faire perdre des hommes. Te
portes-tu bien ?
— Oui.
— Dieu soit loué. Et ta
main ?
— Elle enfle, mon père, dit
Hook en levant sa main que Mélisande avait enduite de miel et bandée.
— C’est bon signe, dit le
prêtre en se penchant vers la blessure. Et cela sent bon ! Enfin, cela
empeste boue, merde et sueur, mais comme nous tous. Et point la pourriture, et
c’est le plus important. Comment est ta pisse ? Trouble ? Fort
colorée ? Faible ?
— Comme elle est toujours, mon
père.
— C’est magnifique ! Nous
ne pouvons te perdre,
Weitere Kostenlose Bücher