Bombay, Maximum City
Tôt ou tard vous partirez. Si vous deviez vivre ici en permanence vous l’auriez mis à Cathedral. »
Tout un réseau de quasi-inconnus rencontrés récemment se met en place afin de nous aider à trouver une école pour Gautama. Ils connaissent qui un enseignant, qui le principal, qui le propriétaire de l’un des rares établissements comportant une maternelle, et ils s’emploient énergiquement à téléphoner de notre part à ces importants personnages, parfois même à se déplacer en personne pour les caresser dans le sens du poil et obtenir gain de cause. Ils brossent de nous un portrait d’étrangers innocents et mal dégrossis, ignorant tout des procédures d’inscription scolaire. Le fait que nous n’ayons besoin de la place que pour deux ans joue en notre faveur : quand Gautama la libérera, elle sera octroyée à quelqu’un d’autre en échange d’une faveur ou d’un don. Chaque place vacante est donc gage de pouvoir et d’argent. Dans les quartiers Sud de Bombay, il n’y a que sept établissements jugés suffisamment bien pour que les parents y envoient leurs enfants en confiance.
L’un d’eux, l’École internationale de Bombay, héberge huit familles dans ses murs. Locataires de longue date, elles sont protégées par la loi sur les baux locatifs. La porte à côté de l’entrée de la bibliothèque donne accès à un appartement privé. L’école manque cruellement de salles de classe mais il n’est pas en son pouvoir de déloger ces résidents. Elle en a hérité des années plus tôt, quand elle a acheté le bâtiment. On ne trouve plus nulle part de terrains sur lesquels construire de nouvelles écoles ; aucune n’a été créée dans le coin depuis que j’étais gosse, et cela alors que la proportion d’enfants est plus forte que jamais. Le système d’éducation ne peut pas les accueillir tous. Il faut les inscrire en primaire à la naissance. « C’est donc si difficile de mettre son enfant à l’école, à Bombay ? ai-je demandé au principal.
— Pas plus qu’escalader l’Everest. »
Nous voulons donc mettre Gautama dans une école gujeratie, or la seule qui ait une certaine réputation à Bombay est la New Era, fondée par des disciples de Gandhi. Un membre du conseil d’administration écrit une lettre en notre faveur, puis au terme d’une longue série de sollicitations et de supplications notre fils y est enfin accepté. Je vais l’attendre à la sortie, le premier jour, et le spectacle que je découvre m’emplit le cœur de joie : mon fils s’est fondu dans la masse. Je n’arrive pas à le reconnaître dans la foule d’écoliers noirauds en uniforme blanc. Pour la première fois de sa vie, c’est un gamin comme les autres.
Hélas, je vais très vite me rendre compte que là non plus il n’est pas « comme les autres ». Dans le bus qui nous ramène de New Era, la petite Komal me raconte, en gujerati, que sa grand-mère va bientôt venir la voir. Elle me montre des tatouages en décalcomanie qu’elle veut que je lui colle sur la main. De son cartable sortent des trésors merveilleux : une pomme de terre-porc-épic hérissée d’allumettes ; des dessins au trait à colorier ; une feuille de papier découpée en lanières maintenues ensemble par un lien lâche et qui, lorsqu’on les plie, révèlent des surprises. Komal me recommande de donner à la mère de Gautama l’adresse d’un bon magasin de chaussures. Mon fils essaie de lui parler ou de discuter avec d’autres enfants, dans le bus, mais personne ne comprend son anglais. Je lui demande pourquoi il ne s’exprime pas plutôt en gujerati.
« Je ne parle pas très bien le gujerati, m’explique-t-il d’une voix posée. Papa, mets-moi dans une école anglaise, s’il te plaît. » Requête qui plus tard lui vaudra cette remarque de mon oncle : « Tu as brisé le cœur de ton père. »
Gautama rentre de Head Start, sa nouvelle école de langue anglaise, et pour la première fois depuis que nous sommes installés ici il peut décrire sa journée en détail. Avec un piment en guise de pinceau, il a peint une maison et un soleil ; il a joué aux devinettes ; il a mangé un « idli {22} carré » – en fait un dhokla, un gâteau à la noix de coco qui est une spécialité du Gujerat. Je l’écoute avec ravissement. Il ne nous parlait jamais de ce qu’il faisait, à New Era, parce qu’il n’arrivait pas à suivre en gujerati.
Dès le premier soir, Sunita a au
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