Bombay, Maximum City
sortant. Les analystes avaient pourtant prévu une abstention massive, cette fois. Or, si la participation a légèrement diminué, de longues files se sont formées devant les bureaux de vote malgré la chaleur accablante. Peut-être est-ce là une version du dharma à l’échelle nationale : les citoyens se fichent de savoir pour qui ils votent, ils savent seulement que le devoir leur impose de voter.
Au Maharashtra, l’alliance Sena-BJP qui est à la tête de l’État depuis 1995 perd les élections nationales de 1999. Leurs élus avaient promis de construire quatre millions de logements pour les habitants des slums ; ils en ont livré moins de quatre mille.
LE SAHEB
« Quand vas-tu enfin rencontrer Bal Thackeray ? » ne cesse-t-on de me demander.
À quoi je réponds : « Je passerai le voir un jour sur le chemin de l’aéroport. »
Je n’ai aucune envie de rester coincé à Bombay si d’aventure j’indisposais le Saheb lors de l’entretien. Aussi est-ce seulement un mois avant de rentrer à New York, une fois mes bagages bouclés, mon billet en poche, que je me décide enfin à prendre ce rendez-vous. Le rédacteur en chef d’un journal marathe qui connaît bien le Guide Suprême m’emmène jusque chez lui un soir de juin 2000.
Un nombre impressionnant de gardes surveillent le pavillon. Toute une petite armée assure la sécurité de Thackeray : pas moins de cent soixante-dix-neuf officiers de police au total, dont un bataillon de cent cinquante-quatre agents, dix-neuf sous-inspecteurs, trois inspecteurs et trois commissaires adjoints. Le gouvernement central met à sa disposition des véhicules de police et une voiture blindée pour ses déplacements ; l’hôtel particulier qu’il possède à Bandra est fortifié et surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre aux frais du contribuable. Le Tigre ne rugit que sous la protection de ses gardiens.
Entouré de nombreux modèles semblables dans un lotissement, Kalanagar, construit par le gouvernement à l’intention des artistes, le pavillon se dresse au fond d’une rue tranquille de Bandra. Peint en blanc, il respecte le style faussement luxueux de mise à Bombay : l’aspect en est calculé pour donner une impression d’opulence supérieure à l’espace réellement occupé. Les Thackeray sortent de la toute petite bourgeoisie ; ils sont bien en peine de dépenser la fortune qu’ils ont accumulée. Ils s’achètent de grosses voitures, des quatre-quatre Pajero inadaptés aux rues de Bombay. À en croire mon ami journaliste, chez eux on tombe partout sur des liasses de roupies.
Une fois ma personne inspectée à l’aide d’un détecteur de métaux et mon sac fouillé, nous sommes introduits dans un couloir aux murs surchargés d’immenses images de Shiva. Une série de chaises sont disposées face à une porte. Les gens qui y sont assis regardent fixement la porte, comme pour l’obliger à s’ouvrir. À peine avons-nous pris place à notre tour qu’elle s’ouvre, en effet, mais juste pour nous, admis avant tout le monde dans un petit salon. Ici les visiteurs peuvent découvrir des photos grand format de la défunte épouse de Thackeray. Sa mort fut, paraît-il, un coup très dur pour lui. Au fil du temps il s’est beaucoup rapproché de sa bru, tellement que la jeune femme a récemment dû quitter le pavillon sur l’insistance d’Uddhav, un des fils du Saheb. Je remarque également deux plaques gravées ; l’une, blanche et de petite taille, posée sur une table basse – « J’apprécie les gens qui obtiennent des résultats ! » – l’autre, plus imposante, en or avec une inscription rouge – « Tolérance zéro pour le non ! »
Le Saheb fait son entrée au salon deux minutes après nous. « Jaï Maharashtra », lance-t-il, et tandis que mon accompagnateur lui retourne son salut, je sers la main au premier responsable de la destruction de la ville dans laquelle j’ai grandi.
Il s’installe dans un fauteuil placé à côté d’une table basse sur laquelle est posée une statue de guerrier massaï avec sa lance et son bouclier. La conversation peut commencer.
« J’écris un livre sur Bombay…
— Mumbai, rectifie le Saheb.
— Mumbai, oui. »
Thackeray s’exprime dans un anglais haché. Sec et décharné, de taille moyenne, il a des cheveux épais d’un noir de jais suspect et porte de grosses lunettes à monture carrée. Il est élégamment vêtu d’un kurta {78} et d’un lunghi
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