Bombay, Maximum City
Islamabad avant de les conduire vers le nord, près de la frontière avec l’Afghanistan, dans des camps d’entraînement où ils avaient suivi un programme d’endoctrinement anti-indien. On leur passait notamment une cassette vidéo incendiaire sur les violences qui avaient éclaté à Surat après la destruction du Babri Masjid. « Voilà comment on traite nos mères et nos sœurs, en Inde », commentait l’instructeur. Parallèlement, ils s’entraînaient au maniement d’armes sophistiquées et apprenaient à fabriquer des explosifs. Ensuite, on les avait renvoyés au pays avec mission de venger l’islam.
La rupture de Chotta Rajan avec le parrain Dawood Ibrahim date de 1994, année où, quittant Dubaï pour Kuala Lumpur avec quelques hauts responsables hindous de l’organisation, Rajan déclara publiquement qu’il ne voulait plus travailler avec un traître qui avait juré la perte de la nation indienne et promit l’enfer aux poseurs de bombe. Dawood et Shakeel lancèrent des tueurs à ses trousses, pendant que de son côté Rajan envoyait ses hommes de main à Karachi (où la Compagnie-D venait de déménager) avec mission de supprimer Dawood. Entre-temps, à Bombay, les règlements de comptes avec la police, les fusillades entre gangs rivaux et les meurtres crapuleux faisaient chaque année plus de victimes.
À en croire Dawood, la scission n’a aucun rapport avec les attentats. La vendetta qui l’oppose à Rajan résulterait de leurs divergences de vue à propos d’un assassinat commandité, et ce serait pour cela que les gens tombent comme des mouches à Bombay, Dubaï, Katmandou et Bangkok ; il ne s’agit pour lui que d’une féroce partie de ping-pong menée à l’échelle internationale. Les deux camps se canardent pour prendre le contrôle des rackets lucratifs qui fleurissent à Bombay, ils se déciment mutuellement parce que chacun de leurs chefs veut la peau de l’autre. La moindre perte essuyée par l’un des gangs augmente le score des points mortels de son adversaire. À ce jour, la Compagnie-D totalise environ huit cents points gagnants, contre quatre à cinq cents seulement pour la Compagnie Nana.
Les pressions exercées par le gouvernement indien sur les Maktoum, la dynastie au pouvoir à Dubaï, pour obtenir l’extradition de Dawood ont amené ce dernier à s’installer à Karachi. Quant à Chotta Shakeel, il dirige les activités de son gang depuis une base pakistanaise. L’influence de Dawood est telle qu’on lui impute en bloc tous les crimes qui frappent l’Inde – des attentats à la bombe à la corruption en passant par les assassinats –, et sa fortune fabuleuse en fait rêver plus d’un. Un portrait de lui paru dans la presse le crédite d’être « plus riche que Bill Gates et le sultan de Brunei », et son auteur lui prête ces propos passablement agacés : « Le gouvernement indien me tient responsable de toutes les calamités qui s’abattent sur le pays, il va jusqu’à me reprocher la mort d’un chien dans la rue. Dieu merci, je n’étais pas là en 1947, sinon on m’aurait accusé d’être à l’origine de la Partition. »
Bollywood, la Partition et le gengwar ont un point commun, ou partagent une même réalité : l’éclatement de la famille. Les parrains exilés vivent à jamais coupés de leurs proches restés à Bombay. La sœur de Dawood et plusieurs autres membres de sa famille résident toujours ici et coulent des jours paisibles. « La police sait qu’elle doit laisser la famille de Dawood tranquille, m’a confié un de ses lieutenants. Ses hommes, elle peut les tuer, ça c’est du troc, du donnant donnant, mais si elle s’en prend à la famille elle s’en mordra les doigts. » Ces séparations familiales donnent lieu à des confidences sentimentales bien dans la tradition filmi {99} . Au journaliste qui l’interviewe, Rajan déclare ainsi : « Oh, mes enfants me manquent énormément, mais je les ai tout le temps au téléphone. Quelquefois on communique aussi par vidéo-conférence. Quand ils fêtent leurs anniversaires, je reste en ligne avec eux du début à la fin de la fête. C’est presque comme si je participais à la boum, moi aussi – on rigole ensemble, on chante, on bavarde. »
Pour marquer le mépris dans lequel ils tiennent Chotta Rajan, Shakeel et ses hommes le surnomment Bhangi. Parfois, quand il a bu un coup de trop, Rajan passe un coup de fil à Shakeel. « Je vais te tuer »,
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