Bonaparte
je vous marie : je veux vous faire épouser Émilie de Beauharnais, elle est très belle et bien élevée. La connaissez-vous ?
L’aide de camp a déjà vu deux fois cette cousine de Joséphine.
— Mais, mon général, s’exclame-t-il, je suis sans fortune et nous allons en Afrique, et je pourrai bien y être tué ; que deviendra la pauvre veuve ? Je n’ai d’ailleurs pas de goût pour le mariage !
— Il faut se marier pour avoir des enfants, c’est le grand but de la vie. Être tué, cela est possible, alors elle sera la veuve d’un de mes aides de camp, d’un défenseur de la patrie ; elle aura une pension et pourra s’établir avantageusement... Causez ce soir avec Madame Bonaparte : la mère a donné son consentement, dans huit jours la noce, et je vous donnerai quinze jours de bon temps. Vous viendrez me rejoindre à Toulon.
Lavalette ne peut s’empêcher de rire :
— Enfin, je ferai tout ce que vous voudrez. Mais la jeune personne voudra-t-elle de moi ? Je ne veux pas la contraindre...
— C’est une enfant qui s’ennuie à la pension...
Allons, c’est une affaire arrangée. Dites au cocher de retourner à la maison.
« La jeune personne » – future héroïne de l’amour conjugal – ne fut guère enthousiasmée en voyant son fiancé – Lavalette était assez disgracié par la nature –, mais il n’était déjà point question de discuter les ordres de Bonaparte !
Le 9 mai 1798, devant la garde qui veille à l’entrée de Toulon s’arrête un cavalier qui ordonne d’ouvrir les portes :
— Je suis le général en chef Bonaparte !
À Toulon l’attendent l’armée, la flotte, les savants, et une partie du futur empire : Louis, Eugène, Murat, les généraux Berthier, Davout, Lannes, Marmont, Duroc, Bessières. Il y a aussi Kléber et Desaix qui disparaîtront tous deux en 1800.
La flotte achève son rassemblement. En mer, l’armada couvrira huit à dix kilomètres carrés. Lorsque les convois venus de Gênes, de Civita-Vecchia et d’Ajaccio auront rejoint Toulon, les forces d’invasion réuniront quatre cents vaisseaux, frégates, bricks, avisos, transports ayant à leur bord cinquante-cinq mille hommes, mille vingt-six canons, mille pièces d’artillerie de campagne, quatre cent soixante-sept véhicules, mille chevaux – sans parler de nombreuses femmes embarquées, outre les cantinières, plus ou moins clandestinement. Un témoin, qui verra la flotte mouiller devant Alexandrie prétendra que, « saisi d’une frayeur inimaginable », il ne voyait plus la mer « mais seulement des vaisseaux et le ciel ».
Faire traverser à une telle concentration la Méditerranée sur presque toute sa longueur, était une opération dangereuse. Si l’escadre anglaise de Nelson, déjà alertée, rencontrait la flotte de Bonaparte, l’expédition risquait d’être anéantie ou, du moins, si diminuée, que plans et projets pouvaient s’effondrer. Pourrait-on même combattre avec ces bateaux surchargés de terriens ?
— De quelle manière se fera le branle-bas en cas d’attaque ? demande Bonaparte à l’amiral Brueys.
— Si cette circonstance arrivait, général, je donnerai des ordres pour que tout le monde jette ses malles à la mer.
Dès son arrivée, Bonaparte a harangué ses troupes :
— Officiers et soldats, il y a deux ans que je vins vous commander. À cette époque, vous étiez dans la rivière de Gênes, dans la plus grande misère, manquant de tout, ayant sacrifié jusqu’à vos montres pour votre subsistance : je vous promis de faire cesser vos misères, je vous conduisis en Italie. Là, tout vous fut accordé... Ne vous ai-je pas tenu parole ?
Une grande clameur lui répond.
— Eh bien, poursuit Bonaparte, je vais actuellement vous mener dans un pays où, par vos exploits futurs, vous surpasserez ceux qui étonnent aujourd’hui vos admirateurs et rendrez à la patrie des services qu’elle a le droit d’attendre d’une armée invincible. Je promets à chaque soldat qu’au retour de cette expédition il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre.
— Vive la République immortelle ! crient d’une seule voix cinquante mille hommes.
Durant une semaine, le général en chef ronge son frein : les vents sont forts et contraires. Joséphine met à profit ce retard pour invoquer des raisons de santé qui l’obligent à se rendre aux eaux. Une fois de plus, Bonaparte cède ; il l’enverra chercher plus tard... Une promesse qui, au grand
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