Bonaparte
mène les hommes !
Certes, il pense déjà à l’Empire et, dès le 31 mai 1802, un des agents secrets du comte de Lille affirme, non sans raison, qu’après avoir « voulu apaiser les tempêtes avant de songer à la route qu’il tiendrait », il voulait aujourd’hui « reconstruire la monarchie pour lui et ses successeurs. » Dans ce but conclut l’informateur, « il adopte pour modèle l’ancien régime, si décrié depuis dix ans ». Le rapprochement entre l’Église et l’État n’en est-il pas la preuve ? Sous l’ancien régime, ces deux puissances ne se soutenaient-elles point « par une adhérence mutuellement utile » ? L’instauration de la Légion d’honneur ne crée-t-elle pas une manière de noblesse ? Là encore cet ordre national pouvait être considéré comme un soutien du futur régime. Et, le mois suivant, le même agent parle presque naturellement de « l’empereur des Gaules ».
Cependant, chaque médaille a son revers, et tout ce que fera le Consul pour affermir son pouvoir, sera considéré non sans raisons par les Jacobins comme une attaque aux « fondements de la liberté ».
Le 29 juillet 1802, le Sénat proclame les résultats du plébiscite : « Le peuple français nomme et le Sénat proclame Napoléon Bonaparte, Premier consul à vie. » Sur trois millions cinq cent soixante-dix-sept mille deux cent cinquante-neuf votants, il n’y eut que huit mille trois cent soixante-quatorze Français à ne point vouloir faire de Bonaparte une manière de roi.
Soixante mille trois cent quatre-vingt-quinze électeurs de Paris ont voté oui. Les opposants ne sont que soixante ! Et la Vendée ? On attendait avec impatience le vote de ce département royaliste : on compta dix-sept mille soixante-dix-neuf oui contre six non !
Certains électeurs ont accompagné leur vote de souhaits. C’est ainsi que les pensionnaires de l’Hôtel des Invalides « qui se sont rendus en foule à la mairie du X e arrondissement », ont déclaré tout naturellement :
— Que Bonaparte soit consul à vie et que Dieu le protège !
Que nous voilà loin – et en quelques mois – du peuple souverain... Et, en remerciant le Sénat, venu lui apporter la Proclamation du Consulat à vie, Napoléon évoque, lui aussi, le droit divin :
— Content alors d’âvoir été appelé, par l’ordre de celui de qui tout émane, à ramener sur la terre la justice, l’ordre et l’égalité, j’entendrai sonner la dernière heure sans regret et sans inquiétude sur l’opinion des générations futures.
Déjà son prénom prestigieux apparaît sur les monnaies et, le 15 août – date de la naissance du nouveau maître – est décrété fête nationale.
— Voici le second pas fait vers la royauté, peut s’exclamer Mme de Staël. Je crains que cet homme ne soit comme les dieux d’Homère, qu’au troisième acte il n’atteigne l’Olympe !
Tandis que Cobenzl mande à Colloredo : « Où donc s’arrêtera ce torrent plus rapide et plus dévastateur dans la paix que dans la guerre ? »
Napoléon a déjà été élu président de la République italienne et, à la fin de cette même année, le titre de médiateur de la Confédération suisse lui est apporté par les députés des dix-huit cantons helvétiques. Il veut bien accepter cette nouvelle charge mais il leur explique avec condescendance le peu de chose que représente leur pays sur l’échiquier européen :
— Vous ne devez pas prétendre à jouer un rôle entre les puissances de l’Europe. Vous êtes placés entre la France qui a cinq cent mille hommes de troupes ; l’Autriche qui en a trois cent mille ; la Prusse qui en a deux cent mille ; combien pouvez-vous en entretenir ? Qu’est-ce que dix mille hommes contre de telles armées ? Si vous avez autrefois tenu un rang entre les puissances militaires, c’est que la France était divisée en trente parties, l’Italie en cent. Vous pouviez tenir tête au duc de Bourgogne, mais aujourd’hui la Bourgogne n’est qu’un point de la France.
C’est le ton de Louis XIV – et ce ton paraît tout naturel. Ainsi que le constate encore un agent du comte de Provence : « Bonaparte continue à régner avec une plénitude de pouvoirs que ne déployèrent jamais nos rois. »
Mêmes certains royalistes commencent à l’admirer et à trouver que Bonaparte a du bon.
— Qui diable mettrions-nous à la place de ce petit polisson-là ? se serait exclamé le duc de Laval, émigré récemment rentré, et
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