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Bonaparte

Bonaparte

Titel: Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Castelot
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conduisez-vous ? Si c’est pour m’enterrer vivant dans un cachot, j’aime mieux mourir.
    Il y a un silence. Chacun entend battre son coeur.
    — Monsieur, dit enfin Harel d’une voix étouffée, veuillez me suivre et rassembler tout votre courage.
    Le prince a-t-il compris ? L’idée que le Premier consul a décidé sa mort après un semblant de jugement est si loin de lui !...
    L’escalier paraît interminable ; enfin, l’air glacé le frappe au visage. Le condamné se trouve sur un perron surplombant les douves. Encore quelques marches glissantes et, sous la pluie qui tombe maintenant en rafales, il foule l’herbe détrempée. Le prisonnier et ses geôliers contournent bientôt l’énorme tour d’angle qui fait saillie, la tour de la Reine. Soudain, Enghien devine, plus qu’il ne les voit, massés dans l’ombre, derrière un rideau de pluie, des détachements de toutes les troupes qui ont envahi le château. Çà et là oscillent les faibles lueurs des lanternes qui essayent de percer l’obscurité et font étinceler, durant un bref instant, les armes ruisselantes. En avant, sur deux rangs, un peloton de seize gendarmes attend l’arme au pied.
    Enghien a enfin compris.
    Il voit, comme dans un mauvais rêve, un sous-officier s’avancer vers lui. L’homme tient à la main un falot, il s’arrête à deux pas, et, non sans mal, déplie une feuille de papier. C’est le jugement. La voix s’élève, résonne entre les hautes murailles. On entend la pluie qui crépite sur les casques. Deux dates commencent et achèvent le texte.
    « A répondu se nommer Louis-Antoine-Henri de Bourbon, duc d’Enghien, né à Chantilly, le 2 août 1772.
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    « Fait, clos et jugé sans désemparer, à Vincennes, les jour, mois et heure que dessus : 30 ventôse, an XII de la République, à deux heures du matin. »
    2 août 1772... 30 ventôse, an XII. Il n’a pas trente-deux ans !
    — Y a-t-il quelque qui veuille me rendre un dernier service ?
    Noirot s’avance, puis, après avoir écouté le prince qui lui parle à l’oreille, se tourne vers le peloton :
    — Gendarmes, l’un d’entre vous a-t-il une paire de ciseaux ?
    — Moi.
    L’objet passe de main en main. Enghien coupe une mèche de ses cheveux, enlève l’anneau d’or qu’il porte à son doigt et glisse le tout dans la lettre qu’il écrivait avant de se coucher à la princesse Charlotte.
    — Voulez-vous faire passer ceci à la princesse de Rohan-Rochefort ?
    D’une voix plus forte, il demande un prêtre. La réponse lui est donnée du haut du pont-levis qui enjambe le fossé.
    — Pas de capucinade !
    C’est la voix de Savary.
    Enghien, tout en chassant son chien Mohilof, toujours collé à ses jambes, se dirige vers un pommier rabougri qui a poussé là, au pied de la muraille.
    Il se met à genoux, se recueille un instant, puis se relève. On l’entend murmurer :
    — Il faut donc mourir, et de la main des Français !
    La voix sèche de Savary troue de nouveau la nuit :
    — Adjudant, commandez le feu !
    Le sous-officier enlève son chapeau. C’est le signal. La salve éclate, roule et se répercute longuement. Une fumée épaisse rend la nuit encore plus opaque. Les gendarmes s’avancent, retournent le corps. Le visage, fracassé par plusieurs balles, est méconnaissable, puis le cadavre est lancé dans un trou préparé là depuis le début de l’après-midi, la face tournée vers l’eau qui a rempli le fond de la fosse. Une pierre glisse sur la nuque, des pelletées de terre hâtivement jetées comblent la tranchée.
    Quelques instants plus tard, il n’y a plus au fond des douves que Mohilof qui tourne en rond autour du tertre boueux et qui hurle à la mort.
    Réal n’a pas été réveillé. Il dort toujours, et la lettre du Premier consul attend là, bien en évidence, sur sa table de nuit. Il en prend connaissance à son réveil. Affolé, il revêt rapidement sa tenue de Conseiller d’État et se hâte sur le chemin de Vincennes. À la barrière il rencontre Savary qui lui demande où il va.
    — À Vincennes, lui répond-il ; j’ai reçu hier au soir l’ordre de m’y transporter pour interroger le duc d’Enghien.
    Réal, stupéfait, entend alors Savary, tout aussi stupéfait, lui dire que tout est fini. Tandis que Réal, tremblant pour sa place, rentre chez lui, Savary prend la route de Malmaison. Sans doute à

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