Bonaparte
se montre sur toutes les figures ». Le visage du jeune capitaine ne reflétant que le calme et la curiosité attire des regards « hostiles et méfiants ». Cet inconnu à l’allure étrange, à l’oeil sombre, et marchant à grands pas, ne peut être qu’un suspect...
Après la suspension du roi, en apprenant la prochaine nomination d’une Convention, Buonaparte estime que son frère n’a pas le droit de laisser échapper une pareille occasion : il doit se présenter à la future assemblée. Mais Joseph, seul en face de ses adversaires, ne sera pas capable de mener à bien sa campagne – du moins Napoléon le pense. Aussi estime-t-il sa présence en Corse une fois de plus indispensable, alors que la « patrie est en danger », que les frontières de la France sont envahies et que les coalisés marchent sur Paris ! M. de Buonaparte ne se considère pas encore comme Français. La violence sanglante des vainqueurs des Tuileries lui donne la nausée. Le mouvement révolutionnaire ne l’intéresse que dans la mesure où celui-ci va lui permettre de jouer un rôle dans son île. Son ambition ne dépasse pas encore le clocher de sa ville natale !
Mais peut-il obtenir un nouveau congé, alors qu’il vient d’être gracié pour ses absences illégales et qu’il a été récemment promu, par le roi il est vrai, au grade de capitaine ? À la fin du mois d’août, Napoleone trouve le prétexte qui va lui permettre de retourner à Ajaccio : il se rend à l’école de Saint-Cyr d’où Maria-Anna est renvoyée puisque « l’établissement d’aristocrates » doit fermer ses portes. Il demande au maire – Ambru – un certificat affirmant qu’il paraît « prudent que cette jeune demoiselle, obligée de regagner son pays lointain, soit accompagnée dans son voyage par un des siens ». Bien mieux, le capitaine perçoit pour la longue randonnée une somme de trois cent cinquante-deux livres – une livre par lieue de Versailles à Ajaccio.
Durant leur séjour à Paris, à l’hôtel de Metz – et en attendant de pouvoir louer deux places dans la diligence – ils sont souvent réveillés par des perquisitions. Revêtu de son habit de commandant de la Garde nationale, Napoleone n’a pas trop d’ennuis. Il n’en est pas de même de Maria-Anna.
— Où est son passeport ? D’où vient-elle ?
— Du couvent Saint-Louis à Saint-Cyr.
— Tu es donc une ci-devant ?
Avant de partir il conduit sa soeur devenue presque bigote... à l’Opéra.
— Je l’y menai malgré elle, racontera-t-il à Sainte-Hélène, parce que j’étais jeune alors et que cette occasion pouvait ne plus se retrouver d’être à Paris. Elle se fermait les yeux, puis voyant tout ce monde à l’Opéra, elle fut fort détrompée. Ce n’était pas le diable ni ce qu’elle s’était imaginé.
Ils quittent Paris le 9 septembre au lendemain des affreux massacres qui l’ont écoeuré. Décidément, il n’est point de ce parti !
Tout le long de la route, cette jeune fille sortant de Saint-Louis à Saint-Cyr fait mauvaise impression. Quelquefois une plaisanterie achève l’interrogatoire :
— Ta soeur ? Ah ! Ah ! alors, passe !
S’étant arrêtés à Marseille plus d’un mois, ils ne débarquent à Ajaccio que le 15 octobre. Quelques jours plus tard, le « lieutenant-colonel » Buonaparte prend le commandement de six compagnies de volontaires toujours en résidence forcée à Corte, mais qui espèrent, d’ici peu, pouvoir entrer en campagne. Depuis le 20 avril 1791, la France se trouve, en effet, en guerre « contre les rois ». Louis XVI au Temple, le Conseil Exécutif provisoire a décidé d’opérer une diversion contre le roi Victor-Amédée de Savoie. Tandis que l’armée des Alpes envahirait le Piémont, on effectuerait une descente en Sardaigne où l’on trouverait assurément bétail, blé et vin. Le 8 janvier 1793, l’expédition commandée par l’amiral Truguet quitte Ajaccio pour Cagliari. Mais Buonaparte ne fait point partie de l’aventure, et il en est désespéré. Phalange marseillaise, marins français et, d’autre part, volontaires corses – dont l’un des bataillons est commandé par Napoleone – en sont venus aux mains. Aussi, trouve-t-on plus prudent de se passer de la participation locale et, seules, les troupes de ligne ont-elles été embarquées.
Et pendant ce temps, à Paris, place de la Révolution, la tête de Louis XVI roule sur l’échafaud...
La première expédition de Sardaigne est un
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