Bonaparte
considérant que le général Buonaparte a totalement perdu leur confiance par la conduite la plus suspecte, et surtout par le voyage qu’il a dernièrement fait à Gênes », arrêtent ce qui suit : « Le général de brigade Buonaparte, commandant en chef l’artillerie de l’armée d’Italie, est provisoirement suspendu de ses fonctions. Il sera par les soins et sous la responsabilité du général en chef de la dite armée, mis en état d’arrestation et traduit au Comité de Salut public, à Paris, sous bonne et sûre escorte. Les scellés seront apposés sur tous les papiers et effets... »
Buonaparte « se juge perdu ». Il n’est cependant pas conduit au Fort-Carré d’Antibes, ainsi qu’on l’a affirmé durant tant d’années. Laurenti – nous le savons par ses Mémoires – « s’occupe de lui », offre « sa caution » et le général en disgrâce est simplement condamné « à garder les arrêts de rigueur dans la maison de ses hôtes ». Une sentinelle à sa porte, il fait les cent pas dans sa chambre de la rue de Villefranche, tout en rongeant son frein. Si, au moins, Émilia se trouvait là ! Mais, avec prudence, M. et Mme Laurenti ont envoyé leur fille dans leur maison de campagne de Saint-Martin, au-dessus de Grasse.
Que faire sinon écrire aux représentants ? « Me voici flétri sans avoir été entendu, leur déclare-t-il le 12 août... J’ai sacrifié le séjour de mon département ; j’ai abandonné mes biens, j’ai tout perdu pour la République. Depuis, j’ai servi sous Toulon avec quelque distinction et j’ai mérité de l’armée d’Italie la part des lauriers qu’elle a acquise à la prise de Saorgio, d’Oneille et de Tararo... Entendez-moi ! Délivrez l’oppression qui m’environne et restituez-moi l’estime des patriotes... »
On « l’entend ». L’enquête innocente et libère Buonaparte. Et Salicetti l’avoue avec franchise : « Par l’examen de ses papiers, et tous les renseignements que nous avons pris, nous avons reconnu que rien de positif ne pouvait faire durer sa détention plus longtemps. »
Le général Dumerbion approuve cette libération. Il a besoin des « talents de ce militaire qui, nous ne pouvons le nier, précise-t-il, deviennent très nécessaires dans une armée dont il a, mieux que personne, la connaissance ». Des hommes de sa valeur – son chef le reconnaît – sont « extrêmement difficiles à trouver ». Dumerbion n’ose pas encore réintégrer Napoleone officiellement dans l’armée, mais lui demande, avec une gentillesse toute paternelle :
— Mon enfant, présentez-moi un plan de campagne tel que vous savez les faire et je l’exécuterai de mon mieux.
Ce plan de campagne sera celui qu’il mettra en action lui-même dans un peu plus d’une année et demie et qui donnera l’Italie à la France. Mais, pour l’instant, on devine la stupéfaction de Volney et du conventionnel Turreau de Lignières, – ce dernier est venu sur la Côte en voyage de noces –, lorsqu’ils entendent au cours d’un dîner, à la fin du mois d’août 1794, le jeune général leur déclarer qu’il se charge, si on veut bien porter les forces de l’armée de 40 000 hommes à 55 000, de conquérir l’Italie.
Turreau lui fait alors \observer que l’armée française, en voyant même ses effectifs renforcés, serait encore très inférieure en nombre à celle du général autrichien Beaulieu. L’armée de Dumerbion se trouve en outre fort mal approvisionnée. Assurément Beaulieu fortifiera ses positions et les Français, en moins d’un mois, se trouveront cernés par les armées piémontaises et autrichiennes.
— Tout est prévu, répond allègrement Buonaparte. Dès mon début, je livre bataille à Beaulieu et la gagne. Je porte la terreur dans le coeur du Piémont qui m’est découvert, je me fais livrer ses places fortes pour garantir ses États, et je marche sur Beaulieu sans lui donner le temps de se reconnaître ni d’encadrer ses renforts. Mes soldats ne manqueront plus de rien, les victoires en doubleront le nombre et le courage ; de conquête en conquête, j’arrive aux portes de Vienne, où je dicte la Paix...
Turreau finit – s’il faut, en croire Chaptal – par ne plus considérer ce plan « comme un acte de forfanterie de la part d’un jeune homme », il le croit réalisable et « promet de l’envoyer au Comité de Salut public ».
En attendant que la guerre reprenne, Napoleone se rend fréquemment de Nice à
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